Retour à l'accueil du site






Christian BOBIN

Un murmure


Christian Bobin a écrit jusqu’à son dernier souffle. L’écriture lui était aussi indispensable que l’air qu’il respirait. Ce dernier livre, comme beaucoup de ceux qu’il nous a laissés, transmet aux lecteurs sa vision poétique du monde, à propos d’une fleur, des yeux d’un animal, d’une sculpture, d’un sourire. « Sais-tu qu’on peut mourir de chagrin devant l’apparition d’une violette sauvage ? »
 
Plus que tout, la musique est chère à son cœur. Elle le visite à tout moment, elle fait irruption quand on s’y attend le moins. Le pianiste Sokolov jouant Chopin « je sens encore le toucher de cette main solaire sur mon cœur nu ». La musique apporte « toutes consolations ». Le pianiste est « une muraille contre la mort ». « Le docteur Sokolov m’a fait une transfusion de Chopin. Pendant quelques jours j’ai été protégé de tout et ouvert à tout. »  
Ce sont des pages arrachées au quotidien, des émotions magnifiées par l’écriture.
« J’écris à voix basse comme parle le lilas dans la nuit profonde […]
J’écris comme les étoiles qui planent en ignorant les dormeurs dans leur lit […]
J’écris comme on rêve. […] J’écris comme on s’absente. […] J’écris comme se cachent les bêtes éprises de leur fin, blessées à mort par la beauté de vivre. »

Parfois, une bouffée de jubilation que connaissent ceux qui ont tutoyé la maladie et la fièvre, fleurit sur la page. 
Les images poétiques de Christian Bobin peuvent être très proches de celles des surréalistes :
« La musique est une boucle de cheveux dans une enveloppe avec un prénom dessus. Les églises sont des refuges pour pieds cornés. Croquer une bougie redonne des forces. » « Le silence de la nuit était si pur que je me suis réveillé pour l’entendre. »
Des souvenirs d’enfance refont surface. Ainsi, la destruction d’un nid d’hirondelle par l’enfant de quatre ans, « rendu furieux par cet étranglement de la vie que suscite si bien le cordon des familles ».
Des associations d’idées créées par une sensation, évoquent des images comme une pêche miraculeuse et hétéroclite ; « La petite cuillère, à peine creuse, contient pour ma joie l’abbatiale de Conques, le tilleul de la rue Traversière, la paresse d’une feuille morte traînant les pieds sur le trottoir, le bruit de nos pas dans Paris désert, le front bombé de la petite châtelaine de Camille Claudel, les alvéoles du pain de l’enfance, les éclairs du malheur et les moussons d’écriture – tout ce qui fut, est et sera. »
Cette sculpture de Camille Claudel revient souvent dans ces pages. « Quand je suis devant La Petite Châtelaine, l’enfant est si sensible que le marbre de ses joues frémit sous le souffle de mon regard. »
Il y a chez Christian Bobin une quête de la pureté, de l’absolu qui s’exprime magnifiquement ici. « Je cherche la vie délivrée de la vie, l’amour délivré de l’amour, ce froissement d’or d’un diapason, cette note pure qui tremble bien avant notre naissance et après notre mort. »

Christian Bobin est un grand amoureux et le dit avec bonheur. Selon lui, l’amour a le pouvoir de faire circuler entre les amants une information « qui vole plus vite que la lumière » et sera « indéchiffrable par tout autre que son destinataire ». L’amour lui a permis de révéler ce qui est au plus profond de lui-même. Il trouve des images magnifiques pour décrire cet amour : « Tu as rendu des ouragans fous de toi. C’est ta paix qu’ils envient. Le calme de ton sourire qu’ils convoitent. Il n’y a pas un jour, pas une heure où je ne sois balayé par le phare de ton sourire. » « L’amour est une intelligence unique qui s’engendre sans fin. »
Ce thème de l’amour introduit en douceur celui de la mort. « T’entendre, c’est comme apprendre une bonne nouvelle après sa mort. […] Ta voix est si douce que je laisse sur place ma mort et mon éternité. » Cette mort, Christian Bobin l’accueille avec sérénité. Avec philosophie. « C’est la beauté de la nuit qui s’en va et c’est très beau. » Même la douleur est conviée à cette sublimation. « Je suis comme un fakir au-dessus de ma douleur » « Je tiens à un souffle que je ne laisserai personne couper. » « Je suis plus vivant que la plus vivante des fleurs. »
Ce livre nous transporte, nous offre une vision plus large, plus poétique, plus confiante dans un monde que même la mort ne peut détruire.

Nadine Dutier 
(19/02/24)    



Retour
Sommaire
Lectures








Gallimard

(Février 2024)
144 pages - 17 €













Christian Bobin
(1951-2022)


Bio-bibliographie
sur Wikipédia