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Avec mon stylo / Sans son stylo
(ou inversement)


Deux titres pour un seul livre, deux titres au parallélisme énigmatique, voilà qui est de bon augure ! On flaire d’emblée qu’il va y avoir du jeu, du jeu dans l’écriture.
Et c’est bel et bien le cas.
D’abord, le livre est conçu comme une pièce de monnaie. Face, une couverture bleu marine et le premier titre : « Avec mon stylo ». Pile, une couverture bleu clair et le second titre : « Sans son stylo ». À moins que ce ne soit l’inverse. Face : « Sans son stylo ». Pile : « Avec mon stylo ». À chaque lecteur de s’amuser à faire son choix.
Ensuite, on aura beau regarder partout, on ne trouvera aucun nom d’auteur ou d’auteure. Seule la liste de ses livres précédents nous donnera un indice. Mais puisque absence de nom il y a, mieux vaut chercher la raison de cette absence. 
Cette raison prend la forme d’une question, une que l’on se pose au fil des pages ou en refermant le livre : finalement, a-t-on besoin de savoir qui a écrit un texte pour lire un texte ? Pour ce livre-ci, non. Pour ce livre-ci, on a juste besoin de savoir que nous sommes face à un vrai travail d’écriture. Un génial travail d’écriture qui interroge le texte, qui interroge la façon d’écrire des histoires, de les inventer puis de les façonner, de les mettre en mots, pour soi et pour un lecteur.
La différence est de taille entre ce que l’on écrit pour soi et pour le lecteur. Si on l’ignorait, on l’apprend ici, où l’on suit le parcours d’un narrateur-auteur en train de chercher un projet d’écriture. Tantôt, il nous livre ses pages de recherche (écriture pour soi), tantôt il nous livre le texte résultant de ses recherches (écriture pour le lecteur).
Dans les deux cas, c’est savoureux, intelligent et pétillant. C’est de surcroît émouvant car s’esquisse peu à peu le thème de la disparition et il semble lié à la mort, à l’absence encore. On pense aussitôt à Georges Perec et son célèbre roman La disparition qui, sous couvert de texte à contrainte (élision de la lettre « e »), parle d’une perte plus profonde, celle de la mère de l’auteur dans les camps de concentration. Ici, il s’agirait plutôt du deuil d’une femme aimée.
Marie.
Marie qui a offert un stylo au narrateur.
Mais si ce narrateur avait perdu ce stylo, qu’écrirait-il ?
Et si ce narrateur avait ce stylo, qu’écrirait-il ?
Ce sont ces deux histoires que nous lisons, l’une pouvant se lire avant l’autre et inversement. De toute façon, le livre est si habilement construit et si riche, si passionnant que sitôt fermé d’un côté, on a envie de le rouvrir de l’autre. Pile, face, face, pile. On ne s’arrêterait plus.
Car c’est un livre rare. Précieux. Un livre qui a su faire du travail de l’écriture deux remarquables fictions sur la perte.

Isabelle Rossignol 
(07/02/24)    



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Do éditeur

(Janvier 2024)
184 pages - 17 €