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Jose ANDŌ


Juste Jackson


Jackson, mi-Japonais mi-de-quelque-part-en-Afrique, est un ancien sportif et ex-mannequin reconverti en masseur pour Athletius, officiant dans une modeste salle de sport rattachée au siège où il entretient la forme physique du personnel de l’entreprise et de l’équipe de basket qu’elle sponsorise. Les rumeurs qui vont bon train le soupçonnent d’être gay. Quand, à la cantine, l’un des basketteurs scanne par mégarde le QR-code d’un T-shirt reçu en cadeau qu’il porte pour la première fois et tombe sur du contenu pornographique hardcore, Jackson jure ses grands dieux sans être cru qu’il n’est pas le métis ligoté sur les images.
Pendant ce temps dans un Tokyo nocturne et érotique, Toshi, vigile dans une boutique de luxe rencontre Jerim, portier à mi-temps dans le même établissement, gay masochiste qui se plie à tous les fantasmes de son partenaire mais ne supporte pas la moindre allusion raciste et qui est porteur du même QR-code sur son T-shirt reçu par courrier en cadeau l’été précédent.
Lequel est vraiment sur ce T-shirt ? Qu’ont Jackson et Jerim qui ne se connaissent pas en commun et qui cherche ainsi à les piéger ?

Ce QR-code mène les deux hommes sur la piste d’Ibuki, un « blackmix » japonais, un dandy plus âgé et célèbre pour les vidéos pornographiques qu’il diffuse sur un site payant dont la plupart des « followers » résident hors du Japon. Un quatrième compère appelé X (ou Adam) proche d’Ibuki se manifeste, s’affirmant comme la personne filmée en action sur la vidéo rattachée par le QR-code au site porno. Ibuki leur donne rendez-vous à tous dans un hôtel où le décor des chambres renvoie curieusement à celui de la vidéo incriminée. Tous sont bien évidemment de la minorité afro-japonaise à la peau foncée, appelée « hafu » (venu de l’anglais half = métis) ou « blasian » (Black-Asian), méprisée et invisibilisée. X qui serait l’homme du film s’est inscrit comme candidat officiel à l’émission de divertissement « Tartes & mythos » pour évoquer cette affaire. Ils seraient donc trois potentielles victimes de la diffusion et l’utilisation de leur image via ce QR-code renvoyant sur le site d’Ibuki, ces images lui ayant été communiquées par X lui-même. Suite à un échange de vêtement involontaire, les quatre hommes qui s’étaient séparés sur la décision de s’associer pour démasquer le coupable et se venger de ceux qui leur ont fait du tort, réalisent alors que l’incapacité de leur entourage à les différencier pourrait les servir et imaginent un habile stratagème de « permutation substitutive » qui donne lieu à des situations plus cocasses les unes que les autres….

                            Juste Jackson nous fait découvrir le milieu gay japonais à travers l’épineuse question de l’homophobie dans ce pays classé 34e sur 35 nations en termes de protection légale de la communauté LGBT par l’OCDE en 2022. Si l’homosexualité a été légalement dépénalisée au Japon en 1880 les discriminations en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre n’y sont pas interdites, les thérapies de conversion y sont autorisées et le mariage pour les couples homosexuels interdit. On voit bien dès les premières pages la complicité que Eiji, le responsable des sous-traitants lui-même homosexuel qui a recruté le masseur, lui témoigne et le changement de comportement des basketteurs à la cantine quand après avoir lu le QR-code de son T-shirt ils annulent immédiatement leur prochain rendez-vous auprès de lui. Une homophobie rampante qui induit l’existence d’une vie nocturne festive parallèle pour les uns et les autres.

Mais le thème majeur dans Juste Jackson est le racisme dont sont l’objet les Blasian, cette population métissée afro-asiatique à la peau foncée qui, malgré ses célébrités sportives comme Tiger Woods (champion de golf), Naomi Osaka (championne de tennis),Rui Hachimura (basketteur  de l’équipe nationale du Japon en 2018 recruté par les Wizards de Washington puis les Lakers de Los Angeles), des artistes du show-biz (Ne-Yo, Namie Amuro), des figures de la mode ( Pharrel Willams, Kimora Lee Simmons) et un candidat à la présidentielle du Gabon (Jean Ping), reste au sein de cette nation ethniquement l’une des plus homogènes au monde, une minorité invisibilisée, marginalisée et toujours « étrangère ». Brun de peau. Un terme de merde qui permet de mettre volontairement les Africains, les Latinos et tous les basanés dans le même sac. Et si en 2016 le Japon prié par l’ONU « d’adopter une législation interdisant la discrimination raciale, à la fois directe et indirecte » vote « une loi contre les discours haineux », posant les bases d’une législation antiraciste c’est prioritairement pour endiguer la vague de haine anti-coréenne qui ravage le pays. Du fait du peu d’immigration (1,7 % de travailleurs étrangers sur ses 127 millions d’habitants) les étrangers à la peau noire sont rares, les clichés sur eux bien ancrés et il est difficile aux afro-japonais considérés avec une froide et aimable distance comme des étrangers de s’intégrer à la société nippone. En me saluant ce matin, M. XXX m’a dit : encore en noir ? En riant. Pourriez-vous lui dire que j’ai trouvé ses propos offensants ? Cependant l’obligation faite au Japon dont la population vieillit dangereusement de multiplier par quatre le nombre de travailleurs immigrés d’ici 2040 pourrait changer la donne. Face aux ultra-conservateurs qui craignant la dissolution de leur culture dans une nation multi-ethnique agitent la théorie du grand remplacement, la majorité des Japonais comprenant que cette ouverture à l’international est inévitable, qu’il leur faut accueillir mieux et plus de travailleurs d’origines diverses et que le danger d’une fragilisation de leurs traditions et leur culture par un apport de 7 ou 8 % de la population n’est qu’un épouvantail, accepte de façon pragmatiques pour sauver le pays d’abandonner face aux défis de la mondialisation de ce XXIe siècle sa chimère d’un pays replié sur lui-même et d’un peuple ethniquement homogène. Une incursion sur l’image très blanche et non dénuée de racisme dans le Manga vient compléter le tableau. 

Jose Andō dans son roman questionne aussi la culture digitale qui structure le Japon contemporain, évoquant les réseaux sociaux et les émissions de divertissement, l’anonymat des harceleurs numériques, les écrans de surveillance généralisés, les deepfakes photographiques (modification pirate de photo banale en image pornographique pour diffusion sur les réseaux) ou le revenge porn (divulgation d’un contenu sexuellement explicite en ligne sans le consentement de la ou des personnes concernées en guise de « vengeance), réalité civilisationnelle qui n’est pas sans tous nous concerner et nous questionner également.  

« Récit féroce du racisme ordinaire et du traitement des marges sexuelles japonaises à l’heure du web 2.0, Juste Jackson marque l’entrée en littérature d’une nouvelle voix caustique. Un portrait vénéneux, violemment taciturne, de l’aversion nippone aux écarts a la norme – qu’ils soient délibérés ou pas » indique l’éditeur en quatrième de couverture. On ne saurait mieux dire.
Juste Jackson est un récit court, étonnant, inquiétant et musclé, beaucoup moins superficiel qu’il n’y paraît au premier abord, déstabilisant parfois mais qui nous restitue une image assez inhabituelle et fort intéressante du Japon actuel et, face à la mondialisation et quand on y regarde de plus près, peut-être pas si « exotique » pour nous.

Dominique Baillon-Lalande 
(14/03/24)    



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Lectures








Fayard

(Janvier 2024)
152 pages - 18 €

Version numérique
12,99 €



Traduit du japonais par Sylvain Cardonnel








Jose Andō,
d’origine afro-asiatique,
est né en 1994 à Tokyo.
Juste Jackson est son premier roman.