Roger de CONTI / Richard ZERDOUMI

L'ail, le piment, le miel et l'olivier



Marseille, ça intrigue toujours (dans tous les sens du terme).

Voilà une phrase qui donne le ton du livre. Confession, témoignage, autobiographie ? Sous la plume de Roger de Conti, l’inspecteur Zerdoumi raconte et se raconte, à la première personne.
Et au cœur du récit, Marseille.
Ville plurielle et impétueuse, méditerranéenne et tumultueuse, la cité phocéenne n’est pas célèbre seulement pour son accent, sa bouillabaisse et le pastis mais aussi pour son football, son « milieu » et ses « affaires ».
Les frères Guérini, Gaétan Zampa, l’affaire Markovic, l’affaire des cliniques privées… C’est sur tout ce petit monde que Richard Zerdoumi porte un regard sévère mais un peu nostalgique, comme sur les frasques de gamins turbulents dans une cour ensoleillée.

Né en 1935 au Maroc, Richard Zerdoumi a été policier à Marseille pendant trente ans. Il en a vu de toutes les couleurs et nous fait profiter du tableau…

La rédaction a été confiée à Roger de Conti qui emploie une langue verte, vive, très imagée, colorée de gouaille provençale.
Quelques extraits pour goûter la sauce :
« On n’arrive pas à ce niveau de responsabilités en jouant aux taraillettes. »
« Jeune, les moteurs le cambouis, c’était bien, mais le travail à l’usine, le contremaître et l’atelier, ça l’a vite niflé. »
« Sa confiance, il l’a balancée aux orties depuis l’an pèbre. »
Il ne dit pas "personne" mais "dégun" : « Dégun devait gagner chez nous ! »
« Enfermé dans son salon-cellule de première classe, il avait les canines au venin. »
« Les deux frangins associés, ils avaient une sacrée réputation. Entre autres celle de pouvoir se "mettre en pyjama" pendant des mois. C’est-à-dire de disparaître discrètement du décor sans laisser de traces, l’art de se faire oublier pendant très longtemps après une exécution rondement menée… »

Une fois passées les trente premières pages (l’enfance, l’Indochine et l’Algérie, le mariage…), on s’habitue à la langue et l’entrée dans la police à Marseille en 1960 est le véritable début d’un récit haut en couleurs.
« Pour me bizuter à la hussarde, ils m'avaient acoquiné en brigade avec le nec plus ultra de la flibuste policière de Marseille. Les anciens recrutés en 33/36... les rescapés du front populaire, des premiers congés payés, de la grande farandole Spirito Carbone... l'épopée glorieuse barbouillée à la Gomina, l'aventure paléontologique du Marseille canaille, celui des clichés, costumes rayés, pompes bicolores, Borsalino et Panama ».
Confiée à un trio de flics corses déjà bien endurcis, notre jeune recrue apprend le métier et nous suivons son initiation avec autant d’intérêt que d’amusement.
« Du coup, j'avais trouvé ma place. Livreur de bières et sandwichs, coursier, chauffeur et dactylo, je les suivais partout. C'était magique. J'enregistrais, photographiais, imaginais, devinais, subodorais... dans l'ambiance, j'étais l'élève. »
Avec lui, nous découvrons Marseille, son milieu, sa faune et sa flore. Nous l’accompagnons sur les enquêtes, pendant les interrogatoires, il nous présente toutes les célébrités locales : Antoine et Mémé Guérini qui ont régné sur Marseille pendant plus de vingt ans, Francis Vandenberghe dit Le Belge, Tani Zampa, et tous les autres, qui se sont entretués sans relâche pour la domination du territoire…

Et puis, peu à peu, le jeune Zerdoumi prend de l’assurance, devient inspecteur, est demandé à Paris pour les affaires liées aux truands marseillais. Nous le voyons en 1969 aux prises avec l’affaire Markovic, Madame Claude, Marcantoni… L’occasion de rencontrer Alain Delon et d’évoquer les souvenirs d’Indochine…

On lui propose de rester à Paris, on lui offre des conditions en or, mais familialement et professionnellement, pas question de quitter Marseille. Une région pareille, il n’en existe pas…
« Dans la bassine locale du quartier, en général, tout le monde connaît tout le monde. Les familles, les alliances, les embrouilles médiévales... Ceci dit, pour ce qui est de la délinquance, dans le Marseille à l'ancienne, il y avait très peu de villages où il n'existait aucun voyou au bled. C'était même localisé, répertorié, fiché... par individu, par groupes, par bandes, par quartiers justement.
Par tradition, certains de ces endroits étaient mieux achalandés que d'autres. Endoume, la Belle de Mai, la vieille Chapelle... Té ! la Vieille Chapelle justement, question voyous, c'était plutôt touffu et lourd de coffre. Zampa, Di Noia, Jo Lomini "le toréador", Jo Coppola et son orchestre... toute une farandole d'arcandiers adeptes de la douce inactivité lucrative. 
»

Une fois arrêtés et condamnés, les truands « vont aux gamelles » mais les tentatives d’évasions (au plastique, par simulation de pendaison, avec un camion poubelle ou un hélicoptère..) montrent que certains ont du mal à se passer de soleil… et de tout ce qui brille.

La dernière affaire est celle des « cliniques privées » où des voyous, des médecins, des hommes politiques se sont côtoyés (et entretués) pour de grosses parts de gâteau. Encore une occasion pour Richard Zerdoumi de monter à Paris afin d’expliquer en haut-lieu les dessous pas bien propres d’une sombre affaire qui n’a officiellement pas été tout à fait éclaircie. On est alors à la fin des années 80 et l’inspecteur prend sa retraite… Place aux jeunes…

Serge Cabrol 
(28/10/08)    



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