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Carlos RUIZ ZAFÓN


L'Ombre du vent



Si le succès commercial d’un livre n’est jamais garant de sa valeur littéraire, on ne peut pour autant conclure qu’il soit nécessairement signe de médiocrité. Traduit dans le monde entier et vendu à plusieurs millions d’exemplaires, celui de Carlos Ruiz Zafón prouve qu’un roman peut à la fois séduire un vaste public et répondre aux attentes des amateurs les plus exigeants.

Dès les premières pages qui le transportent à Barcelone, le lecteur est envoûté par le Cimetière des Livres Oubliés, vaste bibliothèque aux développements labyrinthiques comme on en rencontre chez Borges, où, un jour de 1945, le père du narrateur emmène son fils âgé de onze ans. Le jeune Daniel est alors convié à un rite initiatique qui le conduit à « adopter » un volume dont il sera définitivement responsable, les livres ne demeurant vivants que dans la mesure où ils existent dans l’âme du lecteur qui a vécu et rêvé avec eux. L’enfant choisit L’Ombre du vent, d’un certain Julian Carax, et le dévore avec tant de passion qu’il n’aura de cesse de trouver le reste de son œuvre et de réunir toutes les informations possibles sur l’auteur. Mais Julian Carax, mystérieusement disparu en 1936, est un écrivain maudit dont les romans ne se sont jamais vendus qu’à quelques centaines d’exemplaires et dont un ennemi démoniaque s’efforce d’effacer la mémoire en brûlant systématiquement ceux qui sont encore disponibles. Daniel va dès lors se livrer à une enquête aux rebondissements multiples pour reconstituer sa destinée.

Les témoignages s’entrecroisent, la vérité entraperçue se dérobe sans cesse, tandis que s’accumulent des menaces qui s’enracinent dans un passé lointain. Plus l’enquête progresse, plus Daniel, qui a entre temps grandi, découvre de correspondances entre sa propre histoire et celle de Julian, et plus s’épaissit un mystère qui ne sera résolu qu’avec les dernières pages. L’auteur maîtrise à la perfection l’art du suspens propre aux feuilletonistes du dix-neuvième siècle, et c’est pourquoi son roman peut se lire au premier degré comme on lirait des « mystères de Barcelone », pendant des Mystères de Paris d’Eugène Sue. Zafón ne cherche pas non plus à dissimuler sa dette envers le roman gothique illustré par Ann Radcliffe et M.G. Lewis : on trouve dans L’Ombre du vent des personnages maléfiques, des suspicions de commerce avec le diable, de sinistres secrets familiaux, un héros fatal marqué par le malheur, des amours maudites, une atmosphère qui frôle constamment le fantastique et une villa vétuste à l’architecture tourmentée, hantée peut-être, qui fut le cadre de drames indicibles. Mais tout l’art de l’écrivain est précisément de transcender cet héritage dans lequel il s’inscrit pour élaborer une œuvre originale et d’une émouvante beauté.

Car, nourri d’un imaginaire somptueux, L’Ombre du vent présente une construction d’une complexité fascinante où l’on trouve plusieurs niveaux de récit, reliés par de constants jeux de miroirs, et l’histoire peut aussi se lire comme une fable métaphysique sur l’identité et sur la rédemption, puisqu’il reviendra à Daniel, double de Julian, d’achever la destinée inaccomplie de ce dernier et de briser la malédiction qui pèse sur lui. Inscrit dans un contexte historique précis, marqué par l’ombre de la guerre civile et du franquisme, le livre est également parcouru par une électricité poétique que renforce une écriture irriguée de métaphores. Enfin, il s’agit d’une très belle déclaration d’amour à la littérature et à ses prestiges : « Un jour, j’ai entendu un habitué de la librairie de mon père dire que rien ne marque autant un lecteur que le premier livre qui s’ouvre vraiment un chemin jusqu’à son coeur. Ces premières images, l’écho de ces premiers mots que nous croyons avoir laissés derrière nous, nous accompagnent toute notre vie et sculptent dans notre mémoire un palais auquel, tôt ou tard – et peu importe le nombre de livres que nous lisons, combien d’univers nous découvrons –, nous reviendrons un jour. Pour moi, ces pages ensorcelées seront toujours celles que j’ai rencontrées dans les galeries du Cimetière des Livres Oubliés. »

Carlos Ruiz Zafón a récemment publié un autre roman qui s’inscrit dans le même univers et qui a remporté un succès considérable en Espagne. On attend impatiemment la traduction.

Sylvie Huguet 
(14/09/08)    



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Editions Grasset
et
Livre de Poche

637 pages - 8 €

Traduit de l'espagnol
par François Maspero







Carlos Ruiz Zafón,

né à barcelone en 1964,
est romancier et scénariste. Depuis 1993, il vit à Los Angeles. Ses romans ont été traduits dans plusieurs langues et primés en Espagne, en France et ailleurs.



Pour visiter son site
(en espagnol) :
www.carlosruizzafon.com


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