Retour à l'accueil du site






Minh TRAN HUY

La princesse et le pêcheur



Lam, l'héroïne, est la fille unique, née en France, de parents vietnamiens. Elevée dans un climat protecteur, poussée par les siens à faire de l'école républicaine un marchepied vers l'excellence, c’est aujourd'hui une adolescente effacée, timide et studieuse, aimant s'évader par la lecture.
« Plus tard, il s’avéra qu’ – il était une fois… – et – ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants – n’étaient que des formules que l’on prononçait pour mettre, un bref instant, le monde entre parenthèses. Pourtant j’ai continué de me fier à l’ordre qui régissait les fictions. En cette matière, même quand l’affaire se compliquait, il était toujours possible de découvrir une trame, un semblant de système qui donnait sens à une suite de mots ou d’images : effets d’écho et de symétrie, métaphores, symboles, correspondances… Je pensais que ma vie obéissait elle aussi à une logique mystérieuse, encore invisible, mais qui un jour m’apparaîtrait. Et j’étais certaine que me nourrir d’histoires me mettait sur la voie, que je développais mes capacités à comprendre la marche des choses, à saisir leur harmonie cachée. Je voyais dans les fictions autant de fils d’Ariane qui me permettraient de sortir, un jour, des méandres du réel.
Et puis j’ai grandi, encore. L’art a cessé d’être une clef qui décode la signification des événements pour devenir un idéal vers lequel tendre, et qui de ce fait même demeure inaccessible. Vivre, c’est se lancer dans un solo tout en apprenant à chanter ; tenir le rôle principal d’une pièce un soir de première sans avoir jamais répété. 
»

A l'occasion d'un séjour linguistique en Angleterre, elle rencontre Nam, un jeune Vietnamien arrivé depuis peu en France. Il est beau, indépendant, plein de mystère et d'assurance et elle croit trouver en lui le prince charmant. Mais si les deux adolescents partagent la même origine, leurs chemins ont été jusqu'ici radicalement différents. Nam a quitté son pays clandestinement sur un bateau de fortune et habite depuis son arrivée à Paris dans un foyer d'accueil, dans l'attente que sa famille restée là-bas le rejoigne. Lam, elle, consciente de ses racines mais néanmoins française et totalement acceptée dans ce pays qui l’a vue naître, choyée et installée dans une petite vie tranquille, ne connaît le Vietnam que par les contes et les récits de sa grand-mère, telle l'histoire du vain amour qu'un modeste pêcheur vouait à la princesse. Malgré le décalage produit par leurs enfances et leurs situations, ils ressentent une forte attirance réciproque et le sensible et magnétique Nam ne cesse de rechercher la compagnie de la jeune fille, sur les bords de la Tamise d'abord puis plus tard à Paris. De confidence en confidence, de conte en conte, les jeunes gens se rapprochent, se revoient, se confient, s'inventent un territoire secret. Pour lui celle qu'il appelle tendrement « papillon » est la petite sœur perdue d’un Vietnam qu’il a quitté. Pour elle il est l'amant rêvé d’un Vietnam dont sont partis ses parents et qu’elle a idéalisé. Leur rencontre est très pure, nourrie de moments où tout semble possible, où chaque instant parait à la fois unique et déjà perdu – Mono no aware : l'instant juste passé dit-on en japonais – et d'autres où tout les sépare. Le Vietnam que l'un a perdu, l'autre ne peut, par définition, pas le partager puisqu'il n'est pour elle qu'une carte postale. « J'avais soif de bruits, d'odeurs, de couleurs qui donneraient chair à un nom abstrait : Vietnam ». L’impossibilité de vivre pleinement une histoire d’amour avec ce héros qui se dérobe dés qu'elle l'interroge sur son passé ou le frôle de trop prés, cantonne l'héroïne en marge de sa propre existence. Tous deux débordés par leurs sentiments, Nam et Lan sont en équilibre au bord de leur vie, remis en cause lorsque les décalages creusés par leurs cultures, les écarts sociaux et leur enfance se révèlent trop forts pour eux. Leur séparation, inéluctable, restera cependant empreinte de mystère, « une absence d'explications, un silence, une fuite ».

A quelque temps de là, Lam accompagne ses parents au Vietnam, où ils retournent pour la première fois. Là-bas, la jeune fille soulève le voile et découvre les tragédies que cache son pays d'origine et qu'on vécues les siens : la guerre civile, le totalitarisme, les crimes des uns et la souffrance des autres, le fossé entre ceux qui sont restés sur place, soumis ou durcissant « leur résistance au feu d'horreurs vécues » et ceux, comme ses parents ou sa grand-mère ou, plus récemment, Nam et son frère, qui ont choisi la fuite, laissant leurs proches à la merci des persécutions. Elle assiste à des scènes fortes et émouvantes comme les retrouvailles de son père avec son cousin germain ou la rencontre de sa mère avec un ancien voisin qui lui avoue timidement avoir été secrètement amoureux d'elle pendant des années. Elle devine les efforts de ceux qui ont tout perdu et qui ont réussi à refaire leur vie, la détresse de ceux qui n'ont pas pu surmonter leur drame, la force de ses parents qui lui font réaliser qu'ils ne sont, au fond, « ni vietnamiens, ni français... on parle de double culture, de racines transplantées dans un autre sol, d'héritage à conserver tout en s'intégrant, mais on oublie qu'en réalité les êtres nés ici et vivant là ne sont de nulle part ».
Finalement, ce retour aux sources, conjugué à l'éducation familiale, aux récits de l'aïeule, à la rencontre avec Nam, construiront l'identité franco-vietnamienne singulière et assumée de Lam.

A travers l'itinéraire de ces deux personnages, elle aborde à la fois la complexe question de l'identité et de l'évolution sociale vécue à la fois comme une trahison et un devoir et la capacité de sublimation amoureuse des adolescents pour l'être ou le pays dans lequel ils se fondent totalement. Entre le récit des moments partagés avec Nam et celui du voyage initiatique au Vietnam, l'auteur fait courir, comme un fil rouge, un conte traditionnel qui s'entremêle pour mieux évoquer la mélancolie profonde de l'adolescente séparée de sa culture et rejetée par celui qu'elle a choisi pour cette raison même. Outre le glissement du personnel à l'universel que cette construction originale et complexe confère au roman, cette confusion apparente vient donner corps à celle de l'adolescente en pleine quête d'identité. Ce conte miroir sur l'amour impossible, la fratrie, le destin, version vietnamienne du chœur antique, vient faire écho aux sentiments des personnages tout en nimbant le récit d'une atmosphère onirique et subtilement asiatique.
« Nam s'est lancé dans un récit qui m'a étrangement émue, peut-être parce que mon ami avait pris un tout autre ton, ralentissant son débit et choisissant ses mots avec soin, comme s'il les extrayait un à un d'une mine où repose un trésor oublié. »

C'est ainsi, par son élégante simplicité, sa délicatesse et son art des détours autant que par ses personnages ou son sujet que Minh Tran Huy compose subtilement l'identité franco-vietnamienne de son roman. Tout comme Lam, pudique, réservée, toute en retenue, l'écriture est ici fine et poétique, l'action minimale, les sentiments effleurés. En évitant tout pathos, toute violence dans l'évocation des drames passés et présents infligés par le cours de l'Histoire à ce pays, dans la façon dont elle fait remonter à la surface les douleurs enfouies de ses personnages ou fait ressentir le poids du silence, l'auteur avec une maîtrise parfaite des nuances nous plonge dans une atmosphère proche du conte lui-même, en dehors de la brutalité du réel tout en ne s'éloignant jamais de son sujet.

Un premier roman plein de nostalgie, de mélancolie et de poésie qui parvient à charmer le lecteur pour l'amener très loin du rivage.

Dominique Baillon-Lalande 
(06/11/07)    



Retour
Sommaire
Lectures









Editions Actes Sud
160 pages - 18 €


www.actes-sud.fr








Née en 1979 à Clamart, Minh Tran Huy est rédactrice en chef adjointe au Magazine littéraire et chroniqueuse aux Mots de minuit, l'émission culturelle de Philippe Lefait (France 2).
La princesse et le pêcheur est son
premier roman.







Vous pouvez lire
un entretien avec l'auteur sur
www.evene.fr