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Un banal fait divers : en 2000, un "baron" de l'ex-Compagnie Générale
des Eaux a été condamné à vingt-quatre mois de prison
dont six mois ferme en semi-enfermement pour une affaire de corruption à
l'île de la Réunion. Ce puissant polytechnicien était le
père de Laurence Tardieu. Mais ce qui donne à ce livre sa saveur c'est que ce récit à la première personne, cette confrontation aux états d'âme d'une "pauvre petite fille riche" qui pourrait en agacer plus d'un, ne comporte ni complaisance, ni plainte, ni rancur, mais raconte simplement son combat contre l'absence et les non-dits, contre ce gommage, cet enfouissement, voulus par le principal protagoniste, du dérapage paternel et de ses conséquences familiales. Un secret inavouable caché au fond d'un trou de mémoire. "Nous ressemblons à des enfants terrifiés qui ont vu pendant des années des ombres grandir dans le noir en croyant qu'elles étaient des loups." Ce livre est, dix ans après, malgré l'interdit exprimé par celui qui ne souhaite pas étaler au grand jour ce douloureux épisode de sa vie, la tentative ultime de sortir du silence, de pénétrer "L'envers du décor. Là où sont tapis les monstres", de s'arracher au passé pour exister, de naître une nouvelle fois en se dépouillant de sa peau de fille pour devenir femme. "J'ai retrouvé mon souffle, j'ai retrouvé mon corps. Je m'en vais vivre maintenant. Je m'en vais aimer." La possibilité, "puisqu'il n'y a que [...] nos vies à tous, précaires, uniques, défaillantes, qui se font et se défont, et recommencent encore", d'un envol. Dans ce récit d'un itinéraire émancipateur, d'une libération par l'écriture, les mots collent au plus près de l'émotion. Loin de toute exhibition ou déballage public de linge sale, Laurence Tardieu, avec pudeur et concision, saisit avec justesse faits et sentiments, exerce une torsion du réel à partir de son expérience pour les transformer en une lettre d'amour et de rébellion adressée au père, en hommage lumineux à sa mère. Mais "il n'y a que dans les contes que tout se finit sans accroc. La vie, elle, laisse des traces." "Je voulais convoquer des images d'avant le basculement. Je me rends compte en écrivant combien cette période de ma vie, la détention de mon père et la mort de ma mère, a tracé une ligne de rupture définitive. [...] Rien n'a plus été pareil. Ma manière d'être au monde, de regarder les autres, de vivre, d'aimer, d'écrire, tout cela s'en est trouvé profondément modifié. Combien de vies dans une vie ?" C'est au cur même du processus de l'écriture littéraire
que l'écrivain plonge, dans lequel elle nous entraîne, et c'est
avec un certain plaisir que le lecteur se laisse conduire au-delà des
faits eux-mêmes et de l'introspection autobiographique au royaume des
mots et des sentiments. Dominique Baillon-Lalande (19/09/11) |
Sommaire Lectures Editions Stock 160 pages - 16 €
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