Retour à l'accueil





Brina SVIT

Petit éloge de la rupture


Ce n’est certainement pas par hasard que mes anciens amants sont tous restés mes meilleurs amis, écrit Brina Svit dans Petit Éloge de la rupture. Ce constat lui est dicté par sa peur de la rupture, sa peur de l’abandon. Elle sait très bien que ces mots détachés de leur contexte, sont déjà par eux-mêmes terrifiants à écrire... à prononcer.

En amour la rupture peut se présenter sous diverses formes : une porte claque, après une longue dispute, et se ferme sur une grande histoire ; une lettre reçue détaille longuement ce qui pousse l’un à se séparer de cet autre pourtant tant aimé ; pour elle (car elle n’a pas d’autre prénom que celui-ci dans ce récit, nous prévient Brina Svit) cette rupture s’affichera sur l’écran de son mobile par un texto (ah ! la technologie !) "Je sors de ta vie" dit-il. Y-a-t-il plus brutal que de se trouver dans un métro bandé de voyageurs ou parmi les clients d’un grand magasin, ou, comme elle, entouré de monde au vernissage d’un photographe arménien, et de recevoir ces mots auxquels elle ne s’attendait pas ? Le couperet tombe si brutalement qu’il provoque après l’incompréhension, les douleurs coutumières dans le haut de l’estomac, une pression qui ne veut pas lâcher, une crampe, une petite boule...

Mais l’histoire de cette rupture qui jalonne les pages de ce livre est le prétexte pour Brina Svit de revenir sur bien d’autres ruptures : celle avec sa langue maternelle, j’ai mis longtemps – vingt ans – à faire le grand saut et à commencer à écrire en français ; avec son pays (la Slovénie) ; avec sa mère qu’elle fuit en épousant un Français qui l’emportera loin de sa tyrannie. Petite touche d’humour aussi dans les premières pages du récit : la rupture de son disque dur et le dialogue avec l’homme de la maintenance qui lui annonce l’irréversible. Elle se rendra compte ensuite en revenant chez elle (à bicyclette...) que l’arrêt de fonctionnement de son matériel de travail, l’ampute, outre des premières pages de son récit, de petites choses de la vie que l’on ne peut plus restituer, telles que les photographies de ses proches à certains instants de leur existence, instants à jamais perdus (de nos jours, nos vies se sauvegardent, ne l’oubliant jamais plus !).

On pourrait s’interroger sur le bien-fondé d’écrire sérieusement l’éloge d’une chose aussi douloureuse que cela ? C’est oublier que la rupture... les ruptures (amoureuses ou autres) portent en leur sein les forces du renouveau ; nous devenons autrement dit : disponible, libre... Tel que l’arcane de la mort déchiffré par une cartomancienne nous prédit un changement, un tournant, une renaissance.

Il est vrai que parfois, au-delà de la rupture elle-même, il y a celle qui peut la suivre, une bien plus terrifiante : celle de la mort. Rompre, quitter, rejeter celui qu’on a aimé, chéri et qui brusquement vous répondra par son brutal décès pour se retrouver dans ce lieu où on ne peut plus l’atteindre ni par la parole ni par un texto ni même par le silence... On dit souvent de ce lieu qu’il est glacial, mais même cela il ne l’est pas. Il est l’abîme de la mort ! Il est l’irréparable.

L’écriture de Brina Svit est légère et maitrisée, elle est aussi en filigrane le sujet de ce livre. Des figures telles que celles de Richard Millet, J.-B. Pontalis, Philippe Sollers sont clairement nommés et dialoguent avec notre auteur au sujet de son projet : ce Petit Éloge de la rupture. Dans ces passages, on croise également une énigmatique E.B que nous pourrions en cherchant bien peut-être démasquer... et puis Gil... mais celui-ci je laisse au lecteur le plaisir de le découvrir. Ainsi, nous sommes par moments projetés dans les coulisses des éditions Gallimard. J’ignore si pour l’efficacité de ce récit ces personnages n’auraient pas gagné à figurer de manière anonyme.

David Nahmias 
(22/10/09)    



Retour
Sommaire
Lectures










Editions Gallimard

Collection Folio 2 €
112 pages








Brina Svit,
née en 1954 en Slovénie, est l'auteur de cinq romans publiés chez Gallimard dont les trois derniers directement écrits en français : Con brio (1999), Mort d'une prima donna slovène (2001), Moreno (2003), Un cœur de trop (2006) et Coco Dias ou La Porte Dorée (2007).