Emilie STONE

Pomme Q



Plusieurs livres et films ont imaginé le monde vu par un animal, un bébé ou un extraterrestre. Plus original, le roman d’Emilie Stone nous montre l’espèce humaine observée par un ordinateur.
Le narrateur de Pomme Q est un portable qui commence sa vie comme modèle de démonstration dans la boutique de Dino, un informaticien de génie.
Luis, un créateur de jeux vidéos, convainc Dino de lui vendre cette machine, la seule encore disponible ce jour-là.
Il ne sait pas qu’il achète un appareil peu ordinaire, capable de s’auto-allumer et de se connecter à tout ce qui existe d’électronique ou de programmable : téléphone, télévision, télésurveillance ou climatisation…

L’ordinateur découvre le monde grâce à Google et à l’observation directe de ce qui l’entoure. Ce qu’il apprend ne cesse de le surprendre. Les hommes sont de drôles de systèmes, pas vraiment aboutis. Comment leur fabricant a-t-il pu s’en tenir là ?
« En toute objectivité, c’était vraiment n’importe quoi, les humains. Et depuis longtemps. Ça faisait quand même des dizaines de milliers d’années que le modèle prouvait que fondamentalement quelque chose ne fonctionnait pas. Qui attendait quoi pour améliorer enfin sérieusement le modèle ? Plusieurs hypothèses : soit le fabricant avait mis la clef sous la porte, soit il était arrivé à son seuil d’incompétence, soit il trouvait son compte dans ce chaos. Seulement pour avoir le nom et l’adresse de ce fameux fabricant, rien n’avait l’air d’être plus compliqué à calculer. Impossible d’obtenir une réponse claire sur la question. Certains remettaient en cause l’existence même d’un fabricant... Même Google calait sur le sujet. »

Trois choses semblent obnubiler notre déconcertante espèce.
Le travail, l’argent :
« Le Windows des humains s’appelait le capitalisme. Ils tournaient tous sous ce vieux système d’exploitation à base d’argent, dans lequel une très petite minorité sortait de la fabrication assez riche pour éviter l’activité rémunérée. La plupart des humains devaient donc travailler tout leur temps-machine pour gagner de quoi s’alimenter. Un système concurrent, le communisme, avait bien tenté de le remplacer. Mais après plusieurs tentatives, il s’était effondré. Soit deux systèmes d’exploitation en vingt et un siècles. Comme puissance de calcul, on fait mieux. »
Et le sexe :
« Luis m’avait laissé en veille, et comme ils ont fait "ça" dans le salon, j’ai tout vu. Toute la séquence. C’était incalculable. Comme traversés par une excitation électrique, ils se sont jetés l’un sur l’autre, pour s’arracher réciproquement leur revêtement, tripoter frénétiquement leur prise mâle et femelle, pour finalement se connecter l’un à l’autre en poussant des cris de documentaires animaliers. Quand je calculais que c’était enfin fini, ça recommençait. Ils ont répété l’opération pendant quarante-huit heures, dans tous les recoins de l’appartement. Quand je n’avais plus l’image, le son de tout ça continuait à me dérouter. »

Notre mode de reproduction est aussi un sujet de surprise pour l’ordinateur et il est content de quitter Luis lorsque sa compagne, Ella, met au monde le petit Jules.
« C’est simple, tout s’était mis à tourner autour de ce mini-homme. Alors que l’animal avait une influence manifestement désastreuse. Le lave-linge n’en pouvait plus, le micro-ondes n’arrêtait pas, l’imprimante se vidait de ses couleurs à force d’imprimer des photos de l’engin, et moi j’en avais assez d’entendre parler bébé. Jules était arrivé jusqu’à dénaturer le vocabulaire de Luis et d’Ella. Ces deux soi-disant adultes se mettaient à parler un sous-langage humain ridicule dès qu’ils s’approchaient de la bête. J’avais honte pour eux. [...] Avec ses trois fonctions primaires, remplis-sage, vidange et recharge, il s’était mis à décider de leur vie. »

Le portable va ensuite changer plusieurs fois de propriétaire et connaître de nouvelles aventures…

Mais que devient-il après son dernier bogue ? A quoi ressemble le paradis informatique ? Une ultime partie intitulée « Effets secondaires » apporte les réponses à ces questions métaphysiques.

Pomme Q est un roman vif et plein d’humour, une interrogation amusée sur le monde et sur l’avenir de la relation entre l’homme et la machine. Idéal pour se détendre après une journée de saisie ou de programmation.

Serge Cabrol 
(04/01/07)    



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Editions Michalon
154 pages
14 €