Georges STEINER & Cécile LADJALI

Eloge de la transmission



Vous désespérez de l’enseignement ? Vous pensez que tous les profs sont nuls et que les élèves sont bons à jeter ? Alors, ce livre n’est pas pour vous. Retournez à votre ressentiment nihiliste et fichez-nous la paix.

Dans le cas contraire, ouvrez vite cet éloge de la transmission. C’est d’abord l’histoire d’une rencontre entre une jeune agrégée de lettres, enseignant à Drancy, ville de triste mémoire, et d’un maître à penser qui enseigne à Cambridge, Georges Steiner. Un jour, la jeune agrégée envoie à l’honorable professeur un recueil de sonnets qu’elle a fait écrire à sa classe, une classe difficile, à la limite de la déculturation et qui ignorait bien des choses sur ce qu’il se passait à Drancy il y a plus de soixante ans. Miracle : Georges Steiner lui répond et consent à prendre rendez-vous avec elle. De cette rencontre naîtra un dialogue diffusé sur France-Culture, puis ce livre où apparaissent de grandes questions que l’on croyait tombées en désuétude depuis la massification de l’enseignement.

On y fait l’éloge de la difficulté et de l’accès aux grands textes, non à des fins élitistes, mais pour transmettre justement aux jeunes générations ce supplément d’âme qui leur manque parfois. Contre l’amnésie généralisée, Steiner défend l’art de la citation et le par cœur. Faire de chaque élève un livre vivant, c’est tout le contraire du pédantisme : c’est ouvrir des possibilités de liberté et de résistance. La grammaire est aussi réhabilitée, mais loin des caricatures que l’on a bien voulu en faire jusque-là, parce qu’elle structure l’expérience de chacun et porte la culture d’où elle est issue.

Certes, le dialogue est parfois désenchanté, surtout quand les deux interlocuteurs abordent la question de la place de l’enseignant dans l’école d’aujourd’hui. Mais là encore, il ne s’agit pas de revenir en arrière, de faire de la nostalgie. Pour Steiner, enseigner ressort avant tout d’une attitude : il ne faut pas avoir honte de ses passions, bien au contraire. Comme il le dit : « Si l’élève sent qu’on est possédé par ce qu’on enseigne, c’est déjà le premier pas. Il ne sera pas d’accord, peut-être va-t-il se moquer, mais il écoutera. » Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter quelques pages plus loin : « L’amertume, l’aigreur, la morosité du professeur médiocre est l’un des grands crimes dans notre société. »

Cécile Ladjali, elle, veut y croire encore et nous y croyons aussi, lorsqu’elle écrit à propos de la création en milieu scolaire : « Ecrire un livre, s’approprier physiquement la littérature peut rendre l’aventure scolaire un peu moins absurde, sans que l’on ait renoncé pour autant à l’excellence. » On pourrait encore citer de multiples passages de ces entretiens, tant est dense la pensée des deux interlocuteurs, pétris d’humanisme sans jamais céder à la raideur et à l’élitisme, soucieux de transmettre à travers les grands textes ce qui fait que l’homme est autre chose qu’un gentil consommateur, et vigilants quand à l’avenir qui s’annonce…

Avec Georges Steiner et Cécile Ladjali, l’éloge de la transmission se double d’un éloge de la liberté et de la résistance. Tout le contraire, donc, de l’école de la soumission, du décervelage formaliste et de la bêtise planifiée !

Pascal Hérault 



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Coll. Itinéraires du savoir
142 pages - 14,20 €




Fayard

Coll. Pluriel
160 pages - 6,50 €