Annie SAUMONT, koman sa sécri émé ?


Les voilà quel bonheur ! Des nouvelles d’Annie Saumont pour l’automne. Un nouveau recueil moins noir que d’habitude, avec du jeu parfois ou de l’apaisement. Dix-huit instantanés de la vie moderne, des histoires où l’ironie et la tendresse se mêlent pour nous dire le monde qui tourne à vide, les êtres décalés qui ne savent pas vivre, grandir, aimer ou être aimés, n’ont jamais appris, compris, ceux que le destin a abîmés. Des tranches de vie saisies au vol, un inventaire des petits drames du quotidien qui pèsent lourd. Attention danger, dérapages en vue ! Ça fait parfois du bien. Pas tout seul. Des fois, au fil du rasoir, le drame s’éloigne. L’espoir pointerait même son nez, presque.

On est bluffé aussi par cette langue, si orale et si travaillée en même temps, par sa diversité. Dans la nouvelle titre, elle s’est même essayée aux texto, Annie, et ça marche ! Mon fils, quinze ans, a tout compris illico, moi… j’ai mis un peu plus de temps. De recueil en recueil, la grande dame continue inlassablement d’explorer les mille chemins de la langue, d’inventer des formes surprenantes pour ses récits lapidaires, parfois cruels, souvent drôles.

Au final, l’émotion devant cette humanité en errance observée au microscope avec une empathie respectueuse vient immanquablement vous saisir. L’incroyable force d’Annie Saumont c’est que ceux qu’elle raconte si bien, auxquels elle donne la parole, ce pourrait être nous, ou nos frères, ou nos voisins. Une résonance si singulière qu’elle nous fait entrer à l’intérieur.

En randonnée, on détourne la tête, gêné, devant Clément, le prof injustement accusé de pédophilie, acquitté mais mutique depuis son séjour en préventive. On est sur le quai quand la voix sensuelle et complice de Simone, agent de la SNCF, sauve in extremis ce vieux monsieur si seul du suicide. On s’émeut, incrédule, du soldat, prisonnier de guerre qui tombe amoureux d’une enfant de huit ans.

Quant aux statistiques vues par les enfants, elles agacent les dents comme des grains de sable :
« Le Français moyen mesure 1,72 m et pèse 75 kg. Depuis vingt ans il a pris 3 kg. La Française moyenne mesure 1,60 m et pèse 60 kg. Depuis vingt ans elle a perdu 600 g. A fallu qu’elle se donne du mal. Bon. Tu vois c’est chouette le journal qu’ils se paient, les parents, ça nous apprend des choses. T’as eu raison de leur piquer. Oui mais qu’est-ce qu’il va dire mon père, avec son mètre 85 et ses 120 kg. Sûr qu’il t’écrase comme un moustique pour avoir fouiné dans sa serviette de type au petit boulot zen qu’a le temps de lire les nouvelles pendant les heures de bureau. Lorsqu’il rentre le soir il dit qu’il est crevé. Il ment ? Ça peut mentir un fonctionnaire ? »

Ma préférée est peut-être la plus terrible d’entre toutes, « Gruyère », car l’auteur, depuis longtemps, excelle à raconter l’horreur vécue à hauteur d’enfant avec une combinaison d’innocence et de cruauté qui vous cloue au sol mieux qu’un coup de poing. Unique, rare, troublant.

Un recueil donc à déguster, avec lenteur, le cœur ouvert et l’esprit vif, pour un plaisir absolu.

Dominique Baillon-Lalande 



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Editions Julliard
170 pages
16 €