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Arnaud RYKNER


Enfants perdus



En bord de mer, le temps des vacances, un homme, une femme que rien ne semble lier et dont nous saurons peu de choses, accueillent ensemble chaque année dans une grande maison « Ces enfants-là. Ceux des autres. Ces enfants pas tout à fait comme les autres, dont ils ne savent rien, sauf qu’ils leurs sont donnés pour l’été. » Ici, ils peuvent profiter du bon air et se permettre d’être bruyants et turbulents.

Les enfants se refont une santé : les goûters sont copieux, l’ambiance chaleureuse, la plage où ils jouent avec les vagues, le sable ou à mimer la mort de ceux qui ont péri ici lors du débarquement est un bonheur toujours renouvelé. « Les adultes les regardent, incertains, inquiets. (...) On les laisse courir, fuir, se fuir eux-mêmes, fuir tout ce qu’ils donnent encore à voir qui vaille la peine d’être regardé. Les adultes les regardent comme ils regardent le jour disparaître lentement. » Une colonie singulière mais sympathique. Les adultes eux veillent au bien-être, au sommeil, au repas, à la sécurité et se méfient des engins de mort que l’on retrouve encore parfois sur la plage.

Parmi la dizaine de gamins, le plus grand, un solitaire un peu à l’écart des autres, connaît bien cette maison dans laquelle il est toujours le premier à arriver. Il observe la mer, reste des heures perché dans son arbre dissimulé au monde extérieur par l’épais feuillage, se réfugie dans le grenier à l’accès interdit pour exister hors des autres et fouiller la mémoire de la maison. Souvent il fait peur. « Caché dans un buisson, il épie. Se fait des promesses. Attend que le jour passe. Oublie. Se force à oublier. Il oubliera tout quelques jours encore. Car il faut qu’il oublie tout ce qu’il a compris. Il ne faut pas comprendre, jamais. Pas savoir. Quand il ressort, à l’heure du bain, il se mêle à nouveau à eux, qu’il voudrait si semblables. Il les aime de nouveau. (...) Mais pour combien de temps ? »

Seul le petit qui chaque année, de façon obsessionnelle, s’abîme des journées entières dans ses vieux catalogues à rêver une collection impossible – de jouets puis d’articles de pêche ou de meubles – dans son étrangeté l’intéresse. Mais celui-là est dans son monde et n’a besoin de personne.

L’adolescent restera donc seul, dans ses perchoirs, avec ces questions qui en lui se battent, se débattent, cette voix qui mue, ce corps qui s’échauffe et se transforme, face à ces jeux d’enfants qui ne le concernent plus, obligé à cohabiter avec cette violence et cette angoisse sourdes qui l’habitent. « Il comprend confusément que le temps est venu de sortir de l’enfance. De ce qu’on appelle ainsi (...) Il fait très bien semblant. Mais dans sa tête il est déjà parti. »
Une nuit de délire, la plage l’appelle...

« L’été s’est terminé plus tôt cet été-là. On est venu très vite chercher les enfants. »

Le roman commence de façon calme et tranquille mais très vite on pressent le dérapage et le drame. Quand il est déjà difficile d’être enfant, l’adolescence peut ouvrir la porte à d’insondables douleurs. Tout devient fragile, incertain, même l’été sous le soleil avec le bruit des vagues comme berceuse et l’ombre bienveillante de ce couple étrange d’anges gardiens. Pour celui qui grandit trop vite, enfermé dans un corps qu’il ne reconnaît pas, les vacances virent alors à l’angoisse de la quête d’identité et tout en lui et hors lui se trouve parasité par une violence irrépressible.

Beaucoup d’énigmes restent vives dans ce roman : quel est le lien qui unit ces deux adultes ? Pourquoi accueillent-ils ici cette singulière colonie ? Quelle est l’histoire singulière de ces mômes dont nous ne savons rien ? Qu’y a-t-il de si lourd dans les bagages de cet adolescent perdu ?
L’auteur, de même qu’il prend soin à ne jamais prénommer aucun personnage, se garde bien d’y répondre et joue avec les vides. Nous ne saurons de ces petits pensionnaires semblables à tant d’autres que la joie des instants passés là. Rien des drames ou des difficultés qui émaillent leur quotidien des onze autres mois de l’année n’a de place ici. Il en ressort une atmosphère mystérieuse, dense, oppressante. Le lecteur se retrouve ainsi dans la position du spectateur qui prendrait un film en cours sans en connaître l’histoire et le début et qui s’en trouverait d’autant plus happé par l’image qui s’impose à lui.

Arnaud Rykner possède une écriture simple, sans effet de style, s’appuyant sur des phrases courtes mais fortes et rythmées. Sa langue poétique, sensuelle et douloureuse, dit de façon sensible des personnages à peines esquissés, qui se divertissent sur la plage le jour pour, tels des fantômes, laisser libre cours à leurs angoisses, la nuit, dans l’obscurité des chambres, dans l’attente de trouver une réconciliation avec leur passé pour vivre et dormir en paix.

Un récit en pointillés qui ne raconte pas mais évoque, de façon émouvante, l’adolescence, la difficulté de grandir, d’être face et avec les autres, la solitude aussi.
Un roman habité qui reste en mémoire.

Dominique Baillon-Lalande 
(05/08/09)    



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Editions du Rouergue

Collection La Brune
92 pages - 10 €









Photo © Philippe ORTEL
Arnaud Rykner,
né en 1966, est enseignant à l’université de Toulouse. Spécialiste de l’œuvre de Marguerite Duras et de Nathalie Sarraute, il a publié de nombreux essais sur la littérature et le théâtre avant de proposer aux lecteurs son premier roman, Je ne viendrai pas, en 2000. Celui-ci est le quatrième.