Marie-Sabine ROGER

Les encombrants



Les "encombrants" évoqués dans ce recueil de 7 nouvelles ne sont pas ces objets dont on se débarrasse sur le trottoir les jours dédiés à leur enlèvement. Ce titre un peu provocateur aborde directement le regard que la société porte sur les vieilles personnes devenues, à l'instar des objets de consommation, inutiles car non productives. Avec humour, elle évoque des situations connues dans toutes les familles (mort, héritage, maisons de retraite…).

Eliette, vieille femme vive et généreuse prépare avec effervescence la visite tant espérée et si rare de ses petits-enfants maintenant devenus adultes. « Lorsqu'elle dit : les grands , c'est de ses petits-enfants qu'elle parle. Pour ses enfants elle dit simplement : les enfants. Elle le dit aux albums de photos. Il suffit d'écouter les mots et de les retenir. » Tout à son bonheur, elle sera seule à ne pas voir que ceux-ci n'ont fait ce détour que pour récupérer quelques vieilleries qui ont pris de la valeur avec le temps et dont bien évidemment ils se persuadent qu'au nom de l'héritage, elles leur sont dues.

Madame Vivieux, centenaire en fauteuil roulant hébergée dans une maison de retraite, se retrouve soudainement vedette des journaux locaux et objet de toute l'attention des politiques. Le centenaire, comme le dit la directrice, c'est vendeur et à la pauvre vieille égarée qui aurait l'idée de demander son avis ? « On a roulé Mm Vivieux jusqu'au gâteau. Le député a dit : Soufflez, soufflez Antonine. Vous permettez que je vous appelle Antonine ? Et il a ajouté : Je vais vous aider, tiens ! Elle a secoué la tête en disant : Hon herfi chhh! Il a insisté, alors elle lui a donné des coups de serviette. Elle est farceuse. Du coup, on est allé la garer plus loin, le temps que le député finisse de souffler tranquille. »

Madame Lemasson 58 ans, toujours pimpante, toujours gaie est garde de nuit au Bon repos depuis plus de vingt ans. On admire et on respecte cette femme apparemment dévouée et bienveillante qui a passé sa vie aux service des plus âgés et des plus dépendants. Les vieux «  ont des exigences, prennent trop d'espace et de vie. Et de temps. On les place en maison pour qu'ils soient bien soignés, bien à l'aise. Bien loin. On met le prix qu'il faut pour ne pas s'en vouloir. » Mais celle-ci, la nuit, en toute impunité, règne en maître et impose sa loi terrorisant ces pauvres vieux dont elle déteste la déchéance et l'odeur. « Les vieux ça pue la mort. L'odeur du cimetière, ils la distillent. Elle empreigne leur peau malsaine, leur bouche aux lèvres avares. »

Une femme culpabilise de si peu visiter son père malade de 90 ans placé en maison et de ne pas savoir trouver les mots pour l'apaiser et montrer son affection. « Lorsqu'elle s'en va, elle se sent lâche. Elle le confie aux infirmières qui assurent que tout va bien. Mais elle sait que c'est faux ; Elle presse le pas. Elle pleure en voiture. Et puis la vie reprend son cours. » Une autre s'agace des amours de sa mère « petit lutin multicolore, auréolée de cheveux blancs ». Un vieux bougon, « soixante-dix-neuf ans aux jonquilles » passe ses nerfs sur son «  foutu clébard » parce qu' « un chien ça ne remplace pas une épouse, ça non ! Ça soupire pareil, peut-être mais ça ne fait pas les repas, ça ne tient pas la maison, ni le linge ni rien. Ça lui coûte en croquettes, en véto. Même si ça ne parle pas – et c'est tant mieux – pour faire des reproches, un chien, on a beau dire, c'est surtout du désagrément » . Une femme revient sur les lieux de son enfance après la mort de sa mère et trouve dans son jardin un vieux luthier amoureux des roses mais qui perd la mémoire.

Ces portraits parfois touchants et tendres, caustiques ou délicieusement cruels, maniant l'humour souvent, racontent "les vieux", leur quotidien, leur solitude et leur fragilité mais aussi leur déchéance. Mais les vieillards ne sont pas tous gentils ni attendrissants. Chacun garde son caractère et l'âge intervient bien peu en la matière. Ils peuvent, comme les plus jeunes, s'avérer également aigris, râleurs ou méchants. Le comportement de leur entourage est aussi divers : douceur, patience, tendresse chez les uns, agacement, mépris, intérêt voire méchanceté chez les autres. Beaucoup de gêne et de culpabilité aussi dans cette difficulté à communiquer, à comprendre, à accepter.

Sept récits réalistes qui trouvent écho en chacun de nous, car derrière ces personnages c'est nous-même, notre vie, nos proches que nous retrouvons.

La variété des nouvelles de ce recueil permet au lecteur de rebondir de voix en voix, conjuguant un fragment de vie à un autre pour découvrir l'univers de la vieillesse par petites touches sans s'y enliser. La brièveté des récits, le style de l'auteur, percutant, alerte et sans fioriture ne donne pas le temps de s'appesantir sur le sort des personnages ainsi mis en scène mais laisse juste aux mots et aux images le temps de l'émotion. Il en résulte un livre empreint de respect et d’humanité qui nous dit sensiblement ce quatrième âge que notre société cache ou fuit tant il dérange.

Dominique Baillon-Lalande 
(11/09/07)    



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Editions Thierry Magnier
90 pages - 11 €


www.editions-
thierry-magnier.com






Marie-Sabine Roger est née en 1957. Elle vit près de Nîmes. Après avoir été enseignante en maternelle pendant plusieurs années, elle se consacre aujourd'hui à l'écriture. Elle est l'auteur de plusieurs dizaines de livres pour les enfants, les adolescents et les adultes.





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