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Françoise RACHMUHL

Passage de l'ombre


Pardonner. Est-ce que l’on peut pardonner aux morts ? Est-ce que les morts nous pardonnent ?
Le personnage du roman de Françoise Rachmuhl que l’on découvre tout au long du roman par de petites touches finement dessinées est une femme au midi passé de son âge. Elle vit seule avec son enfant qu’elle a eu tard et qu’elle essaye d’élever sans pour autant devoir le dresser.
Notre rencontre avec elle débute par une séparation : Exit Etienne. Ce sera le dernier de mes amants, je veux dire de mes amants attitrés. Pourtant elle ne renoncera pas à l’amour.

Trop souvent les séparations ouvrent des brèches sur nos existences, sur nos fragilités, même si elles nous semblent anodines. Une simple histoire qui se termine naturellement. Quitter l’autre c’est mourir à moitié. Marie, l’héroïne du Passage de l’ombre, meurt à peine. Elle a bien trop de choses à faire : élever sa fille par exemple. Mais cette rupture va réveiller les fantômes de son passé ; et l’homme qu’elle a pu haïr autant – tout autant ! – qu’elle a pu aimer, une nuit viendra s’asseoir à ses côtés sans poser son regard sur elle ; il viendra s’asseoir près d’elle pour lui murmurer des mots qu’elle a du mal à saisir, des mots qui parlent d’elle. Cet homme, ce fantôme, ce passager de l’ombre, que sa solitude a réveillé n’est autre que son père. Un père tout aussi torturé par son passé que Marie semble l’être par son enfance. Cette apparition furtive, à peine audible dans les propos qu’il lui adresse, entraînera l’héroïne à fouiller son passé, à plonger dans ses pensées, ses remords, ses regrets, à pleines mains dans ses souvenirs.

Ce père qui revient d’un enfer aussi palpable que la Shoah pouvait-il partager l’amour qu’il ne possédait plus avec ses enfants et son épouse ?
Marie attend ses visites nocturnes, tend l’oreille à ses propos qui parlent toujours d’étangs, de petite fille, de forêt… Qui lui parlent d’elle ! Certains soirs elle l’interpelle et se révolte. Toi, moi, l’ombre des camps. L’ombre glaciale qui te possédait tout entier, paralysait tes sentiments et tes regards, se répandait autour de toi en ondes maléfiques. Ah comme je la sentais peser sur ma jeunesse, cette ombre mortelle, comme je me débattais pour la fuir, étreindre la vie chaude, qui palpitait…

Marie est traductrice, elle travaille sur la Divine Comédie de Dante. Ce texte devient le lien entre elle et ce passager de l’ombre qui la visite certains soirs. À travers les mots du poète elle le rejoint :
O amina che vai per esser lieta… un poco il passo quieta ;
Âme qui va pour être heureuse, ralentis un peu le pas, demandent les morts au poète qui passe.


Françoise Rachmuhl avec une écriture délicate qu’elle teinte de discrètes touches poétiques, nous peint également dans ce récit le quotidien d’une femme esseulée qui aime parfois sentir le corps essoufflé d’un homme sur elle ; qui aime les senteurs et les couleurs de la vie à l’ombre de Dante ; qui accepte autant que faire se peut les traces de son âge, sans pour autant ne pas craindre les miroirs et l’étrange reflet qu’ils lui renvoient d’elle. Une femme qui avance en marge de la vie de sa fille qu’elle voit grandir et s’éloigner en posant sur elle un regard de louve résignée et compréhensive.

Le Passage de l’ombre de Françoise Rachmuhl est une question posée au passé : pouvons-nous guérir des traces qu’il nous a laissées ? Marie ne peut guérir de cela que par la présence de cette autre qu’elle a sortie de ses entrailles : sa fille !

David Nahmias 
(16/10/10)    



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Editions de Janus

130 pages - 13 €










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