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Michel QUINT

Avec des mains cruelles



Rop Claassens, célèbre reporter-photographe de guerre, trouve la mort lors d'une prise d'otages dans un lycée de Lille où il venait parler de son travail. Un fait divers stupide lié à une banale rivalité amoureuse : la belle Louise a quitté Géry pour David. L'amant éconduit, engagé à la légion revient régler ses comptes avec son arme. Bilan trois morts : Louise, le photographe et l'enseignante, mère de David. Intervention du GIGN et enquête de l'inspecteur Libert que nous recroiserons par la suite...

L'artiste était un homme étrange. « Transformer l'horreur en spectacle, débusquer la beauté dans l'insupportable, justement pour qu'il devienne insupportable, voilà ce que je faisais (…) Montrer une victime c'est facile, montrer ce qui reste d'homme, d'enfant, même dans un bourreau, ou un témoin silencieux, impuissant, s'il y demeure trace d'humanité, j'ai pas réussi. » « Quelle est la guerre des assassins de droit commun et quels assassins les guerres fabriquent-elles ? Les grands criminels se révèlent dans la violence ordinaire, la sournoise jamais condamnée, ils y font leurs armes. Les grands conflits commencent là, il disait. »
Par la suite, il s'est retiré des grands reportages. « Personne ne photographiait les lieux des faits divers comme Rop. Grâce à lui, les chiens écrasés devenaient des tragédies antiques. »

Dom, petit-fils d'un brasseur collabo qui lui a légué le bar Dominus Bier, et Judith, promoteur immobilier qui exorcise la douleur de la perte de ses grands-parents à Auschwitz en tentant de reconstituer dans les appartements qu'elle achète pour les revendre leur probable environnement, ont fait l'acquisition du logement du photographe et y découvrent tout un gisement de photos et d'archives plus obscures les unes que les autres. Avec Laura, une superbe fille venue récemment au café proposer ses services et embauchée à la fois pour trier les archives et faire le service au bar, ils flairent dans les lieux les traces d'une jeune fille qui aurait vécu clandestinement avec le "maître". Sa fille ?

A partir des photos, des coupures de presse et des dossiers du photographe, la petite histoire commence à prendre sens malgré les vides qui restent à remplir, l'ensemble qui reste à comprendre et l'Histoire pointe son nez avec son cortège d'horreurs.
Dom, Judith, Laura, David et Denis (ex-journaliste de La voix du Nord et ami du photographe) vont alors partir sur sa piste pour élucider ces destins enchevêtrés.
Ce sont alors des figures incroyables, des anarcho-pacifistes à la bande à Bonnot – « On lui a sectionné les mains après l'exécution. On croyait que montrer des mains d'assassin pouvait dissuader de commettre des meurtres. C'est tout le développement du sordide, du spectaculaire sanglant dans la presse et dans la rue à la Belle époque. Les exécutés, les guillotinés sont des christs inversés. On vient à leur martyre tremper un mouchoir dans leur sang pour y transférer une part d'ombre, de violence, y laisser ses démons et le diable qui dort en nous. » – en faisant une halte par la légion 28 SS Wallonie de Léon Degrelle pour arriver à la chute du mur de Berlin jusqu'aux nazillons européens qui profanent les tombes. Tout un monde qui va émerger peu à peu et les entraîner dans les dessous troubles de cinquante ans de conflits.

Les apprentis détectives, malhabiles parfois mais déterminés, tous habités par des secrets qui trouvent là leurs racines, tanguent mais s'acharnent.

"Et rien n'est fini." « En achevant son livre sur cette phrase, Michel Quint résume l'éternel tourbillon de l'histoire, la fin d'une guerre et le début d'une autre, la mort d'un innocent et la fuite d'un coupable, tandis que le monde tourne plus ou moins rond. » (L'express)

L'ambiance au Dominus est chaleureuse : on y refait la société mieux que n'importe où ailleurs, on y fait des rencontres de hasard, on s'aime, on s'embrasse et on ose même s'offrir un final de théâtre avec l'apparition de tous les protagonistes pour une réconciliation collective. Ce "cocon" vient faire pendant aux jardins de l'histoire qu'ils découvrent, minés et hantés, par des extrémismes nauséabonds et les corps de ceux qui en furent victimes.
La petite bande, animée par son bel enthousiasme et sa soif de vérité, entraîne le lecteur de rebondissement en rebondissement avec un scénario touffu, complexe voire rocambolesque, qui frôle avec le polar et le roman historique, sans être ni l'un ni l'autre.
Une fois passé la mise en place des personnages, (dépasser le premier tiers de l'ouvrage, un peu confus, sans trop d'impatience), ces histoires inscrites dans l'Histoire, apparemment indépendantes les une des autres, convergent en faisceaux à partir des errances du photographe et se croisent de par les antécédents familiaux des personnages, prennent sens et habitent le récit.
Une aventure collective menée avec un rythme soutenu par une tribu fort sympathiques, riche de sa diversité, des mystères de chacun à peine déflorés, de la rage et la générosité qui les animent tous. En filigrane, toujours, des angoisses existentielles à fleur de peau et des questions qui s'agitent : rapport de l'homme à l'Histoire, problématiques du mal et de la culpabilité… Comment en temps de guerre et longtemps après, des hommes ordinaires peuvent-ils se comporter en monstres ?
L'Histoire est pleine d'enseignements mais il faut aussi regarder sur les côtés et garder l'œil vif pour que demain ne soit pas pire qu'hier. L'auteur pour cela sollicite notre vigilance face aux faux héros et vrais salauds qui, pour assurer leur sécurité, dénoncent leurs meilleurs voisins ou sont capables de pire encore.

Michel Quint sait y faire. Son style vif, dialogué, simple mais diablement percutant et efficace, sait jouer de l'émotion, de l'humour et de la provocation comme personne.
On se laisse embarquer et... on en redemande.

Dominique Baillon-Lalande 
(07/10/10)   



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Lectures









Editions Joëlle Losfeld

272 pages - 18,50 €












Michel Quint
a écrit une trentaine d’ouvrages et obtenu le Grand Prix de la littérature policière en 1989.
Effroyables jardins (Joëlle Losfeld, 2000) a connu un immense succès, traduit dans dix-huit pays, adapté plusieurs fois au théâtre,
et au cinéma par
Jean Becker.



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