Terry PRATCHETT

Le régiment monstrueux



Avec ce vingt-neuvième volume dans lequel il poursuit l’exploration de son inépuisable Disque-Monde, Terry Pratchett confirme un certain changement de ton déjà amorcé dans Ronde de nuit. Sans renoncer au burlesque qui est sa marque, il s’autorise parfois une certaine gravité, et, si l’on retrouve ici toutes les espèces qui peuplent cet univers de fantasy, loups-garous, vampires membres d’une ligue de tempérance qui ont renoncé au sang humain, trolls, zombies, gnomes chevauchant des buses apprivoisées et « Igors » experts en chirurgie et couturés comme la créature de Frankenstein, la magie joue un moindre rôle que dans les premiers livres des Annales. L’évocation se fait parfois étonnamment réaliste dans la peinture d’un pays en guerre, avec des intentions ouvertement satiriques.

Nous sommes en Borogravie, petit pays toujours en conflit avec ses voisins pour d’obscures raisons territoriales et dynastiques. La jeune Margot, fille d’aubergiste, après avoir longuement étudié les manières et le langage adéquats, se travestit en garçon et s’engage dans l’armée avec l’espoir de retrouver son frère, qui ne donne plus de nouvelles depuis son départ au front. On ne dévoilera pas ici toutes les surprises qui l’attendent, et le lecteur avec elle, mais on notera que Terry Pratchett, tout en racontant ses aventures avec le sens du récit qu’on lui connaît, se livre à une critique impitoyable du militarisme, du nationalisme obtus et de l’extrémisme religieux.

A peine intégrée à son escouade, Margot doit subir l’autorité tyrannique du caporal Croume, qui incarne l’idée platonicienne du sous-officier sadique et borné, jouissant des brimades qu’il inflige. Le chauvinisme cocardier est de règle ; quoique le pays, saigné à blanc par la guerre, soit au bord de la famine et que, tous les hommes valides étant partis au front, la population civile ne compte plus, outre les mutilés, que des femmes, des enfants et des vieillards, les autorités se refusent à capituler et continuent à affirmer, à grand renfort de propagande, que la Borogravie est sur le point de triompher alors même que la situation militaire est désastreuse et le territoire à demi envahi par les armées adverses. Terry Pratchett renonce au comique quand il s’agit de montrer les conséquences du conflit, comme on le voit dans cette description d’une colonne de blessés rentrant chez eux : «  Il fallut un certain temps aux blessés pour arriver à leur hauteur, puis pour les croiser. Deux hommes valides, autant que pouvait en juger Margot, traînaient bruyamment une charrette à bras sur laquelle était étendu un troisième homme. D’autres claudiquaient sur des béquilles, avaient un bras en écharpe ou portaient une veste rouge dont une manche restait vide. Les pires, c’étaient peut-être ceux comme celui de l’auberge : le teint gris, le regard fixé droit devant, la veste boutonnée serré malgré la chaleur. »

Les Borograves ont également une religion particulièrement contraignante, celle du dieu Nuggan, dont le livre sacré est un « testament vivant » où s’écrivent constamment de nouvelles pages recensant les « Abominations » vouées à l’exécration des fidèles ; on relève pêle-mêle au nombre de celles-ci la couleur bleue, le chocolat, les chats, les nains, les chiens qui aboient, les chemises à six boutons, le fromage et les bébés.

Enfin, Le régiment monstrueux est aussi un livre plaisamment féministe : en Borogravie, les femmes ont un statut inférieur, comme dans certains pays que nous connaissons, et Margot commet une « Abomination » en s’habillant en homme. On en jugera d’après ces lois qui régissent l’héritage : « La loi nugganatique stipulait que les hommes héritaient des biens proprement masculins, tels que terrains, bâtiments, argent et tous animaux domestiques en dehors des chats. Les femmes héritaient des biens proprement féminins, qui consistaient principalement en petits bijoux personnels et en rouets transmis de mère en fille. » Or tout au long du roman, les personnages féminins révèlent des qualités de cœur et d’intelligence, sans oublier la bravoure, que pourraient leur envier leurs compatriotes mâles, lesquels s’en distinguent surtout par la grossièreté des manières et du langage, et par une agressivité fanfaronne trop facilement confondue avec la virilité.

Les situations et l’écriture, admirablement traduite par Patrick Couton, témoignent toujours de la même inventivité. Voici donc un roman où l’habitué du Disque-Monde retrouvera avec bonheur un univers de fantaisie dont bien des aspects renvoient cependant au monde réel.

Sylvie Huguet 
(19/05/07)    



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Editions L'Atalante
456 pages - 18,90 €


Traduit de l'anglais par Patrick Couton


http://www.editions-
l-atalante.com




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