« je me tais, parce que quelqu’un parle fort il n’y a plus de place » Albane Gellé, avec ces quelques mots extraits de son recueil L’air libre paru au Dé Bleu, caractérise ce que l’on ressent de manière si forte en lisant ou en écoutant sa poésie. Elle se tait, point de mots hyperboliques ou issus d’un registre autre que celui du quotidien. Elle se tait avec des mots de tous les jours, comme s’il lui fallait se contenir pour ne pas prendre trop de place ou faire trop de bruit. Et de ces mots retenus jaillit toute l’ampleur de l’émotion qu’elle dit dans le murmure, le halètement de mots jetés très vite, si vite qu’on ne peut se permettre un point ou une virgule, parce qu’il n’y a pas la place et que celle qu’elle prend il lui faut la saisir à l’intérieur de l’espace que donne un souffle. Et c’est un murmure qui fait crier la souffrance, celle des « hommes sous un bout de ciel rose », celle qui relève de l’intime et qu’exalte ironiquement un ciel bleu : « c’est bien beau mais est-ce que ça suffit que nous faut-il donc que nous manque-t-il donc encore quand tout est là sous nos yeux ». Albane Gellé touche ici au cœur de ce qui est le quotidien des mots que nous parlons, de ce que nous voyons, à la dimension existentielle de la souffrance et du manque. Regard sur soi et regard sur les autres : « il y en a ils ne relèvent pas la tête ils perdent l’habitude de rire ils se recroquevillent tout petit on a beau dire on a beau faire ils laissent tomber leurs yeux par terre ». Le bonheur existe mais il est fugace, lui non plus n’a pas la place : « le bonheur quand on le tient on a peur qu’il s’échappe il glisse le bonheur je sais j’exagère pleurer autant aussi longtemps pour pas grand chose tu me diras mais le bonheur s’il nous lâche qu’est-ce qu’on devient dis-moi ». Sa poésie est tension vers cette mesure de l’air libre dont Albane Gellé est en quête, tension aussi discrète qu’extrême, inscrite dans la densité de mots chuchotés pour mieux crier.

Cécile Oumhani