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Iain PEARS

Le Portrait



A l’aube du vingtième siècle, le peintre mondain Henry MacAlpine abandonne brusquement sa carrière et quitte Londres pour s’exiler sur une île perdue de la côte bretonne. Quatre ans plus tard, son ancien ami William Nasmyth, critique d’art réputé, vient lui rendre visite pour lui demander de peindre son portrait. Au fil des séances de pose, Henry se livre à un long monologue au cours duquel il s’adresse à William et revient sur leur passé commun. C’est ce monologue qui forme la trame du livre, et qui permet au lecteur de reconstituer l’histoire des deux hommes et celle de leurs singuliers rapports.

D’emblée, on est frappé par l’amertume et l’hostilité cinglante du ton. Pourtant, Henry et William ont été unis autrefois par la plus étroite des amitiés, où le second jouait le rôle de mentor et d’initiateur. Ebloui par son immense culture, par son entregent, par son assurance, Henry lui vouait une admiration sans borne. C’est en grande partie grâce aux relations de son ami qu’il a pu faire une carrière de portraitiste. Mais là réside aussi l’une des premières raisons de son ressentiment, car il n’ignore pas que, pour complaire à ses riches commanditaires, il est plus ou moins contraint de prostituer son art, et c’est William qu’il accuse de cette compromission. Ce dernier résume la situation en ces termes : « Le public a un goût de chiottes. Il veut des nus léchés et de jolis paysages. Il n’y a jamais eu d’époque comme la nôtre, mon ami. Pour la première fois dans l’histoire, un groupe possède l’argent et l’autre le bon goût. Tu t’en aperçois tous les jours, avoue-le ! Comment gagnes-tu ta vie ? Tu peins une chose pour faire bouillir la marmite et une autre pour être sincère envers toi-même. » Et Henry d’ajouter : « Il faut bien se nourrir, mon ami ! Il le faut bien. Tu pouvais mépriser ces riches banquiers parce que tu étais aussi riche qu’eux, grâce à ton épouse. Moi pas. Il me fallait choisir entre le succès mondain et ton estime. Tu m’as poussé à concilier les deux, nouvel exemple de ta fourberie, car c’était impossible. » La figure d’Evelyn, jeune femme exigeante qui construit son œuvre sans se soucier du public, renforce le sentiment qu’il a de gâcher son talent.

Par ailleurs, Henry, peu à peu, perce à jour la véritable personnalité de William, et perçoit en lui du charlatanisme, une passion despotique du pouvoir et une cruauté de prédateur : «  Déjà à l’époque, j’étais frappé par ton caractère impitoyable, par ta façon de prendre le contrôle de divers groupes artistiques, truquant les élections afin que tes créatures deviennent secrétaires, présidents des comités de réception, éliminant toute opposition ; par les manifestes que tu promulguais au nom de tout le monde et par tes attaques systématiques contre tous ceux qui osaient ne pas être d’accord avec toi. Grand Dieu ! Le monde raffiné de l’art anglais n’ayant jamais rien connu de tel, il n’était pas préparé à pareille offensive. Malheur à celui qui entravait ta route ! » De cette férocité, William donne la preuve le jour où l’un de leurs amis communs lui soumet ses toiles avec angoisse : «  Au fur et à mesure que tu passais les toiles en revue, tu t’es laissé gagner par la frénésie du prédateur, faisant preuve d’une atroce cruauté. Tu as remarqué et souligné le moindre défaut, la moindre faiblesse, démonté chaque peinture, couleur par couleur, ligne par ligne, forme par forme. Rien ne t’a échappé. Démonstration étourdissante, brillante entreprise de destruction, à la fois improvisée et raisonnée. » Face à de tels comportements, l'amitié et l'admiration cèdent progressivement la place à la désillusion et au dégoût.

Cependant, pour expliquer tant de rancœur, voire tant de haine, une déception amicale ne suffit pas. Il faut que William ait commis un ou plusieurs actes d’une gravité impardonnable, qui ne seront révélés qu’à la fin et dont la noirceur éclaire rétrospectivement toute l’histoire d’un jour sinistre. C’est vers cette révélation que progresse implacablement ce livre d’une grande rigueur, dont la tension et le suspense vont croissant, jusqu’au dénouement inéluctable. Réflexion sur le statut de l’artiste, écartelé entre le souci de faire carrière et celui d’accomplir une œuvre à l’écart de toute compromission, Le Portrait est construit comme un roman à énigme qui soutient l’intérêt de bout en bout.

Sylvie Huguet 
(26/08/06)    



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Editions Belfond
190 pages
18,50 €


Traduit de l'anglais par
Georges-Michel Sarotte











Né en 1955, Iain Pears est historien, journaliste et écrivain. Spécialiste de l’histoire de l’art, il a publié sept romans policiers situés dans le monde de l’art (Belfond et 10/18) et deux romans historiques, Le Cercle de la Croix et Le Songe de Scipion (Belfond et Pocket). Il vit à Oxford, en Angleterre.