Joyce Carol OATES

Les femelles


Une très jeune femme épouse contre la volonté de son père l’homme dont elle est tombée amoureuse mais découvre peu à peu sa violence ; jusqu’où ira-t-elle pour se protéger ? Une enfant de six ans, jalouse de son petit frère, emporte le bébé sur la terrasse qui domine la maison et s’aventure sur le toit pentu. Un homme offre sa fillette en pâture à des voyeurs pédophiles, mais « Poupée » n’est pas toujours sage et rapporte parfois de ces entrevues un "souvenir" sanguinolent. Madame G., épouse élégante d’un homme très riche, fuit sa névrose dans une frénésie d’occupations futiles jusqu’au moment où elle est rattrapée par sa paranoïa. Agnes O’Dwyer, « ange de miséricorde », use de méthodes très particulières pour soulager ses patients… Les neuf nouvelles de ce recueil mettent toutes en scène des héroïnes de tout âge que les circonstances confrontent à une réalité criminelle plus suggérée que décrite dont elles sont coupables, témoins ou victimes, à travers un récit au suspense insidieux.

Comme fréquemment chez l’auteur, l’essentiel réside la plupart du temps dans le non-dit, dans les « blancs » que ménage la narration. Dans « Obsession », par exemple, le crime n’est présent que de façon très allusive. Dans « Banshee », dans « Faim », le récit s’achève avant le dénouement logique et laisse au lecteur le soin d’imaginer la chute mortelle ou de faire des hypothèses sur l’identité de la victime. Une atmosphère étouffante s’installe au fil des paragraphes, nourrie de détails infimes. Souvent la chronologie est éclatée, dans un désordre apparent qui dissimule une structure rigoureuse et présente au lecteur une sorte de puzzle qu’il lui revient de reconstituer.

Si la plupart de ces nouvelles très noires s’inscrivent dans un cadre réaliste, certaines cultivent une ambiguïté qui laisse la porte ouverte au fantastique : il en va ainsi de ces lapins que la petite fille d’« Obsession » croit enfermés dans la cave et qu’elle entend crier la nuit : J’essaie de dire à maman que les lapins sont vrais : je les entends dans le mur, la nuit, mais maman est exaspérée, pendant qu’elle brosse mes cheveux – il y a toujours des nœuds dans mes cheveux bouclés, surtout derrière : maman doit se servir d’un peigne d’acier qui me fait gémir de douleur –, et elle dit : « Non. Ce n’est qu’un rêve idiot, Marybeth. Et je vous préviens, tous les deux : plus de rêves. »

Même chose pour le dénouement de « Madison guignol », qui bascule dans une horreur cauchemardesque dont on ne sait trop s’il faut l’attribuer à la folie de l’héroïne ou à une réalité dont la monstruosité cruellement ironique et vengeresse se révèle enfin une fois déchiré le voile des apparences : « Le talon de huit centimètres de la sandale en chevreau exquisément façonnée est plongé de façon répétée dans le vagin de la femme gémissante ; par poignées, ses cheveux blond champagne sont arrachés et éparpillés dans les airs ; ses ongles, manucurés et vernis la veille chez Elizabeth Arden sont arrachés un par un, ses seins tailladés au rasoir avec une froide précision chirurgicale. » Cette nouvelle est la seule qui fasse appel à un gore explicite, quand toutes les autres jouent sur une grande économie de moyens.

Les Femelles permet donc de retrouver une nouvelliste qui maîtrise parfaitement son art, et qui ne risque pas de décevoir ceux qui ont aimé Hantises et Vous ne me connaissez pas.

Sylvie Huguet 
(23/11/07)    



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Editions Philippe Rey
280 pages - 19,80 €

Traduction
Claude Seban



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de l'éditeur :
www.philippe-Rey.fr




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