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Dans la famille Kocsis, il y a les parents Rosza et Miklos qui ont quitté
la Voïvodine, province autonome de l'ex-Yougoslavie (aujourd'hui de la Serbie), pour émigrer en Suisse en quête d'une vie
meilleure pour eux et leurs deux filles. Il y a aussi Papuci, le grand-père
paternel, qui dans l'immédiat après-guerre a été interné
dans un camp de travail, en a fait le récit à son retour puis s'est
muré dans le silence jusqu'à sa mort. L'occasion pour l'auteur de
décrire l'histoire du pays depuis la Seconde Guerre mondiale avec la période
fasciste puis la période communiste et la dissolution. Il faudra attendre 1973, les six ans d'Ildikó, deux ans de moins pour
Nomi, pour que la famille soit réunie à nouveau. Après
plusieurs années de galère, les Kocsis ont enfin réussi
à s'installer. Ils tiennent d'abord une blanchisserie, puis une cafétéria,
avant de faire l'acquisition, non sans avoir lutté contre les réticences
locales, d'un café-restaurant traditionnel, le "Mondial", établi
sur la rive droite du lac de Zurich, un restaurant où l'épouse
était serveuse et où, depuis plusieurs générations, des citoyens suisses au-dessus de tout soupçon ont leurs habitudes et
font la loi. Face à cette nouvelle vie au restaurant, il y a la famille laissée
au pays que l'on retrouve aux vacances. Mais la mort de Tito, les conflits et l'éclatement de la Yougoslavie
qui en découlent, signent la fin de ces moments de retrouvailles. La
guerre pénètre même les cuisines du Mondial sous la forme
d'un conflit de langue quand les parents, qui parlent allemand au restaurant,
interdisent le serbo-croate à leurs employés yougoslaves. L'inquiétude
et les colères parviennent aussi à plomber l'atmosphère
familiale : iIl faut accepter de vivre ses deuils de loin et de partager par
procuration la destruction du pays, souffrir d'impuissance devant la misère
qui gagne ceux qu'on aime, voir les fils enrôlés de force par un
camp qu'ils ne vivent pas comme le leur, découvrir en tremblant par les
informations les combats fratricides. Dans ce décor, les deux surs grandissent et acquièrent
au fil des ans une mentalité et une modernité suisses. Elles aspirent
pareillement à conquérir leur liberté, fréquentent
des lieux alternatifs, se lient avec des garçons. Les parents, eux, assistent
sans comprendre à ces mutations, Rosza avec inquiétude et en silence,
Miklos en se consolant avec sa bouteille. Mais si Nomi, d'un naturel enjoué
et peu prédisposée aux études, effectue le service au restaurant
familial avec sérénité, Ildikó, extrêmement
douée pour les langues et férue d'histoire et de littérature,
tiraillée entre l'amour pour son pays, ses souvenirs de famille et sa
nouvelle vie en Suisse, supporte mal l'étroitesse de ce monde clos, se
hérisse face aux réflexions racistes de certains clients et aux
humiliations imposées, rêve de liberté et d'autonomie. Quand
une histoire d'amour s'ébauche entre elle et Dalibor, un réfugié
serbe de Dubrovnik, un déserteur aux nuits peuplées de fantômes,
un vagabond à la recherche d'un emploi, la jeune fille, cachant à
son père cette liaison qu'à coup sûr Miklos le Hongrois
de la Voïvodine considérerait comme un passage à ennemi,
s'interroge. Le livre se termine sur un acte émouvant : un hommage aux morts de
Voïvodine, rendu à Zurich par les surs, "pour que
les vivants ne meurent pas avant leur heure". Un récit clairement autobiographique qui alterne les séquences
familiales à Voïvodine et celles du quotidien à Zurich dans
une logique d'intégration positive. Ildikó, avec humour et lucidité, nous conte les épisodes
comiques ou les périodes de doute, sans s'appesantir ni omettre le contexte
politique mais en privilégiant la saga familiale, le ressenti personnel,
en langage direct, sous l'angle et avec le rythme qui sont les siens. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Éditions Métailié (Août 2012) 240 pages - 20 € Traduit de l'allemand par Françoise Toraille
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