Hubert MONTEILHET

Au vent du boulet


Bonapartistes s’abstenir ! Le roman d’Hubert Monteilhet, écrit au pas de charge, se présente comme une démystification féroce de l’épopée napoléonienne et du prétendu grand homme qui en fut en même temps l’inventeur et le héros.

Le vicomte Pierre-Marie d’Ablis, fils naturel de Louis XV, émigre en 1789 avec le comte d’Artois, futur Charles X, dont il perçoit rapidement la médiocrité et l’incompétence. Sous le Consulat, ce gentilhomme légitimiste et fervent chrétien se rallie à Bonaparte, autrefois son condisciple à l’école militaire, en qui il voit un moindre mal, car il le croit capable de ramener l’ordre et une certaine prospérité dans une France qui sort exsangue des troubles et des guerres de la Révolution, et qui a besoin de se réconcilier avec elle-même. Devenu son aide de camp, il n’est pas insensible, au début, à son charisme brutal, mais il constate bientôt le cynisme et la démesure sans cesse accrue de celui qu’il surnomme Orsec, anagramme de Corse. Face à des campagnes militaires de plus en plus hasardeuses, à une autocratie de plus en plus affirmée, il se convainc que Napoléon conduit le pays à sa ruine ; il travaillera désormais à l’abattre, jouant double jeu auprès de lui en lui donnant des conseils perfides destinés à hâter sa perte, et fournissant en sous-main des informations au tsar Alexandre, qu’il rejoint ouvertement après la retraite de Russie.

A condition d’accepter le temps de la lecture ses convictions délibérément monarchistes et son attachement à l’Ancien Régime, Pierre-Marie attire constamment la sympathie du lecteur, qui lui pardonne bien volontiers sa perfidie tant Napoléon paraît constamment odieux. Arriviste sans scrupules, ce dernier se comporte en Tartuffe et assiste à la messe avec ostentation alors qu’il est dépourvu de tout sentiment religieux. Tyrannique, il muselle les libertés publiques plus qu’elles ne le furent jamais sous la royauté, et, propagandiste avisé, met toute son énergie à forger sa propre légende et à sculpter sa propre statue alors que, bien loin de travailler à l’intérêt du pays, il le met en coupe réglée. Quant à l’homme de guerre, il est plus chanceux que génial, se soucie peu de nourrir et de soigner correctement ses troupes, et moins encore d’épargner leur vie : Napoléon gagne ses batailles au prix de pertes considérables, assuré que la fécondité des femmes les compenseront sans tarder : à Pierre-Marie qui s’inquiète de ces hémorragies, il répond sans se troubler : « La France est le pays le plus peuplé d’Europe. Nous devons en profiter avant que les autres nous rattrapent. Et nous devons aussi (…) voir les choses du point de vue économique. Quand 100 000 hommes tombent au Diable vert, cela fait 100 000 chômeurs de moins sur les bords de la Seine. Ce pourquoi les ouvriers, qui ont d’ailleurs retrouvé leur dimanche grâce à mes bons soins, m’apprécient et me foutent la paix. » Plus le temps passe, plus son ubris lui fait perdre le sens du réel. Enfin, sur le plan privé, c’est un mufle et un menteur « congénital et instinctif », un égoïste forcené sujet à des colères frénétiques au cours desquelles il se ridiculise en piétinant son chapeau.

Appuyé sur une documentation qui semble très solide, le roman se déroule sur un rythme allègre, dont la vivacité est encore accrue par l’emploi fréquent du présent de narration. L’écriture est élégante, et pétille d’une insolence et d’un esprit qui donnent tout leur sel aux fréquents dialogues, et qui se cristallisent en réflexions brillantes et désenchantées, relevées d’une pointe de cynisme : « Le malheureux ignorait que les douleurs morales les plus vives, qui disparaissent dès qu’on pense à autre chose, ne sont rien à côté des douleurs physiques. Le sage s’en aperçoit dès qu’il suit l’enterrement d’un être cher avec un cor aux pieds. »

Ce roman très séduisant, qui plonge le lecteur au cœur d’événements essentiels, lui offre, outre celui de suivre un récit d’aventures enlevé, le plaisir de rencontrer familièrement Fouché, Talleyrand ou Madame de Staël, et de regarder d’un œil neuf une Histoire sur laquelle il jette un jour décapant.

Sylvie Huguet 
(16/08/08)    



Retour
Sommaire
Lectures









Editions de Fallois

257 pages - 20 €