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Gilles BAILLY

Malbosque


Avec Malbosque, La Clef d’Argent inaugure la collection FiKh ThOn, consacrée aux « romans étranges et fantastiques, insolites et inclassables ». Inclassable, le livre de Gilles Bailly l’est assurément, qui brasse le fantastique, la science-fiction et l’humour noir avec une originalité certaine et parfois déconcertante. Le roman se présente comme une succession de chapitres assez brefs, qui fait alterner les points de vue des deux personnages centraux, d’ailleurs voués à se rencontrer et à se lier d’une amitié étroite puisqu’ils sont en fait «  les deux facettes d’une seule et même personne. » L’un d’eux est un marginal sans occupation précise, l’autre un écrivain raté en quête d’inspiration, et tous deux, avant de croiser leurs routes, parcourent les montagnes d’un Massif Central évoqué non sans réalisme, où ils vont partager une expérience de « reconversion civilisationnelle » dont les acteurs se sont installés sur les hauteurs du Puy Mary. Suivent des aventures des plus insolites, dont un voyage au centre de la Terre qui se réfère explicitement à Jules Vernes, tandis que l’Europe se décompose en micro états instables comme la « Principauté Cunéo-Niçarde » ou la « Vénéto-Padanie ».

Au fil du texte, le lecteur va de surprise en surprise : il tombe sur des trouvailles poétiques, comme ce pacte avec le règne végétal que conclut l’un des personnages dont la voiture se transforme à l’avenant : « Ma nouvelle auto est un petit bijou de menuiserie et de marqueterie. Carrosserie en liège, volant en bois d’olivier, tableau de bord en ronce de noyer. Les fauteuils sont des structures de rotin recouvertes de mousse, les pneus des sphères de résine souple. Une merveille de technologie naturelle ! » De même le village de Malbosque, qui donne son nom au livre, a-t-il la possibilité de se déplacer dans l’espace. Les personnages du roman sont aussi sujets à des métamorphoses, comme le chien Tabouret qui se transforme d’abord en ours, puis en humain, tandis que d’autres fusionnent pour former une entité nouvelle, et devenir « un être plus équilibré, plus vertueux, plus généreux que ses deux "jumeaux" ». D’autres passages révèlent un humour noir très décalé, comme lorsque les membres de l’expédition partie explorer le volcan recourent tout naturellement au cannibalisme, ou lorsque la communauté du Puy Mary est assaillie par un bombardement de corps humains, l’armée prenant à la lettre l’expression "chair à canon" et utilisant ses propres soldats comme projectiles. De là des images d’une macabre étrangeté, comme celle des « cadavres qui jonchaient le sol sur plusieurs mètres d’épaisseur. A perte de vue. (…) Seul le temple de pierre avait tenu bon. Il gisait actuellement sous trois à quatre mètres de profondeur, enfoui sous l’amoncellement, si bien qu’il leur avait fallu pratiquer un tunnel dans la masse des cadavres pour atteindre l’air libre. »

Contrastée, volontairement disparate et pourtant cohérente dans les choix qu’elle assume jusqu’au bout, l’esthétique de cet OVNI littéraire, qui se lit avec beaucoup de curiosité, n’est pas sans rappeler celle d’un surréalisme friand de rencontres bizarres, comme celle, pour reprendre la formule d’Isidore Ducasse, d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection.

Sylvie Huguet 
(11/07/09)    



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Lectures










Editions La Clef d'Argent

200 pages - 12 €









Gilles Bailly,
né en 1967, est l'auteur de nouvelles insolites, insolentes, caustiques et poétiques parues dans de nombreuses revues dont le Codex Atlanticus, L'Encrier Renversé, Hespéris, Le Jardin d'Essai, Nord ou Supérieur Inconnu.


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