Anne MAILLÉ

Glögg



Vingt-quatre récits de quelques pages, petites tranches de vie d'handicapés du cœur, du corps, personnages de l'ombre auxquels la vie n'a pas fait de cadeaux, qui dans leur volonté de survivre, encaissent les coups en baissant la tête ou les rendent. Parfois ils se croisent, s'entremêlent d'une nouvelle à l'autre et nous apparaissent sous un éclairage différent.

On rencontre en chemin une naine pleine d'humour et déterminée, un gardien de zoo boiteux muré dès l'enfance dans le rejet et la solitude, un jeune voyou sans foi ni loi qui camouflé en infirme appréhende le monde en fauteuil roulant, une folle aux yeux de chat, shampooineuse de jour fille légère la nuit, que seul le pliage soigneux d'origami semble sortir de sa torpeur, une bande de mômes qui passent le temps pendant que leurs parents mineurs de fond sont en grève, un gamin et sa sœur nés sous X, solidaires et confrontés, qui découvrent à leur tour les affres de la grossesse précoce non désirée, une fan de meetings aériens face à un avion qui rate son looping, des couples qui se délitent, des bébés morts-nés, des pères absents, des mères courageuses et dures et d'autres qui oublient de rentrer chez elles ou s'abîment dans l'alcool, une jeune femme qui découvre brutalement le goût du travestissement du père de ses jumelles, des vieux en fin de vie, attentifs, malades ou absents à eux-mêmes, un vendeur d'aspirateur...
Tout un inventaire à la Prévert d'échecs qui entaillent sans tuer, d'êtres perdus voués dès la naissance à l'errance, d'individus en lutte, entremaillé avec l'histoire des débuts de l'aviation, d'effluves de mers rêvées avec ses bateaux fantômes, de feux d'indiens et d'animaux domestiques acteurs ou spectateurs énigmatiques des humains.

La forêt est touffue et le lecteur n'a guère le temps de s'appesantir. L'auteur effleure ses personnages, les évoque, les invoque laissant toute la place au non-dit, à l'étrangeté, aux questions. Immergé dans cette atmosphère plus pointilliste que réaliste, on est déstabilisé, la curiosité en éveil quand, grâce à de savantes combinaisons de recoupements, le puzzle se complète progressivement donnant de l'unité, de la chair et du sens au recueil. Cette écriture rapide, sobre, semble s'inscrire dans une volonté d'empathie plus que d'explication, conférant à ces fragments d'histoires où le drame affleure, la fragilité, la fugacité du temps qui passe. La porte souvent, derrière le dernier mot, reste ouverte aux grands vents de l'avenir, à un ciel plus lumineux peut-être, dans le silence et la marge de la page. Il nous arrive même au détour d'une phrase de sourire en goûtant l'une de ces formules que l'auteur sème ici et là avec malice :
« On ne peut pas fuir indéfiniment, surtout quand on boite. » (Loth)
« Un an de ma vie cachée dans une bouteille, assise sur un bateau miniature, à chercher l'air, attendre le vent. Tout cela pour quoi ? Pour un homme que je n'ai même pas aimé. Même en femme, il est sûrement raté. » (La griffone)
« - Tu as vu tous ces médicaments ? Même en voyage, il en emporte la moitié. On dirait Titus avec sa couverture.
- Et moi je suis Snoopy, allongé sur sa niche. Avec l'envie de regarder le ciel sans rien entendre. » (Je suis quelqu'un d'autre)
« Moi aussi, enfant, j'ai couru, de plus en plus vite, de plus en plus nu, depuis les hauteurs d'un lit pour m'envoler. Tout ce que j'ai trouvé c'est une cicatrice qui me barre le front. » (La portance)


Une alliance originale de gravité, d'humour, d'humanité et d'énergie. Un premier recueil plein de promesses et de charme chez ce petit éditeur qui s'est choisi l'audace des premiers romans et le fait avec beaucoup de bonheur.

Dominique Baillon-Lalande 
(20/08/08)    



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160 pages - 14 €








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