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Lettres de Rosa LUXEMBURG

Rosa, la vie


N’oubliez jamais qu’il faut prendre la vie avec sérénité et joie, quoi qu’il arrive. Et même ici je n’en manque pas.

« Ici », c’est la prison, où Rosa Luxemburg a passé les dernières années de sa vie pour son opposition à la guerre. D’abord une année à Berlin de février 1915 à février 1916 pour incitation de militaires à la désobéissance, puis plus de deux ans de juillet 1916 à novembre 1918 pendant lesquelles elle a connu les forteresses polonaises de Wroncke et Breslau. Deux mois après sa libération, dans la nuit du 14 au 15 janvier 1919, elle est assassinée par un officier allemand et son corps est jeté dans un canal.

Ce livre regroupe une soixantaine de lettres écrites essentiellement pendant ses périodes de détention à une douzaine de correspondants. Ces textes ont été choisis par Anouk Grinbert qui a conçu un spectacle autour de leur lecture.

Ces lettres sont de formidables leçons de vie.

Rosa Luxemburg y exprime sa colère envers ceux qu’elle juge « moroses, lâches et tièdes ». Ça vous dirait bien d’« avoir un peu plus d’élan », écris-tu, seulement après on se retrouve au trou, et « là on ne sert plus à grand-chose ». Ah ! quelle misère que vos âmes d’épiciers ! […] Pour ce qui est de moi, qui n’ai jamais été tendre, je suis devenue ces derniers temps dure comme de l’acier poli, et plus jamais je ne ferai la moindre concession ni en politique ni dans mes relations personnelles.

Le combat pour ses idées est essentiel : la prison me semble tout naturellement faire partie de notre métier de combattants prolétariens de la liberté et la Russie m’a habituée à considérer qu’entrer et sortir de ces murs était une chose des plus banales.

Mais sa correspondance fait apparaître avant tout une infinie tendresse pour ses amis, Hans Diefenbach, Karl Liebknecht et sa jeune épouse Sonia qu’elle appelle "Sonioucha, mon petit oiseau", ou Louise Kautsky, "Loulou chérie", à qui elle écrit de Breslau : Chérie, ne sois pas abattue, ne vis pas comme une petite grenouille terrorisée. Regarde, nous avons à présent – du moins ici – des journées de printemps si splendides et douces, les soirées sont tellement belles avec cette lune argentée. Je ne m'en lasse pas quand dans l'obscurité je fais ma promenade dans la cour de la prison (je sors exprès le soir, pour ne plus voir les murs et ce qui est autour). Lis quelque chose de beau ! As-tu de bons livres en ce moment ? Écris-moi ce que tu lis, je t'en prie, je t'en enverrai peut-être, ou au moins, te conseillerai quelque chose de beau qui revigore.

Dans ses lettres, elle parle de peinture ou de littérature, cite Goethe ou Mörike, évoque Schiller, Shakespeare, Tolstoï ou Dostoïevski...

A la forteresse de Wroncke, elle avait accès à un petit jardin et nombreuses sont les lettres où elle décrit les plantes et les oiseaux : Ici, le lilas a déjà fleuri, il s'est ouvert aujourd'hui ; il fait si chaud que j'ai dû mettre ma plus légère robe de mousseline. Mais malgré le soleil et la chaleur, mes petits oiseaux se sont presque tous tus, les uns après les autres ! Apparemment, ils sont tous très occupés à couver ; les femelles restent au nid et les mâles ont beaucoup à faire pour chercher la nourriture, pour eux et leurs épouses. Sans doute nichent-ils ailleurs, dans la campagne ou dans de plus grands arbres ; en tout cas, mon petit jardin est bien silencieux. De temps à autre seulement, le rossignol chante quelques notes, la fauvette lance son trille saccadé, ou bien, tard dans la soirée, le pinson fait encore une ou deux roulades.

Elle s’émeut du sort de la centaine de buffles employés comme bêtes de somme à Breslau : Ils viennent de Roumanie, et sont des trophées de guerre... Les soldats qui conduisaient l'attelage racontent qu'il a été très difficile de capturer ces bêtes qui vivaient à l'état sauvage, et plus dur encore de s'en servir pour tirer des fardeaux, elles qui ne connaissaient que la liberté. On les a affreusement battues, jusqu'à ce qu'elles admettent qu'elles avaient perdu la guerre, et que l'expression Vae victis valait aussi pour elles. […] On les exploite sans répit, on les fait tirer toutes sortes de charges, et à ce rythme, elles ont vite fait de mourir.

Elle revit des souvenirs – L’année dernière, nous étions toutes les deux là-bas… – et conçoit des projets : Sonitchka, vous souvenez-vous de ce que nous avons prévu de faire, quand la guerre sera finie ? Un voyage ensemble dans le Sud. Et nous le ferons ! Je sais que vous rêvez d'aller avec moi en Italie, qui est pour vous ce qu'il y a de plus grand. Moi, je projette de vous traîner en Corse. C'est encore plus beau que l'Italie. On y oublie l'Europe, l'Europe d'aujourd'hui tout au moins.

Même si la vie en forteresse est douloureuse – Je mène ici une vraie vie de condamnée, c’est-à-dire que je suis enfermée jour et nuit dans ma cellule, avec pour seul vis-à-vis la prison des hommes – et son activité épistolaire parfois restreinte – Il m’a été signalé par la kommandantur que ma correspondance était trop abondante. Ne m’écrivez plus qu’une fois par semaine, je vous prie, et plus brièvement –, elle conserve une inaltérable énergie : Fais donc en sorte de rester un être humain. C'est ça l'essentiel : être humain. Et ça, ça veut dire être solide, clair et calme, oui, calme, envers et contre tout, car gémir est l'affaire des faibles. Être humain, c'est s'il le faut, mettre gaiement sa vie tout entière « sur la grande balance du destin », tout en se réjouissant de chaque belle journée et de chaque beau nuage.

Pourtant lorsqu’elle sort de prison, c’est la mort qui la poursuit. Dans la dernière lettre du livre, datée du 25 décembre 1918, elle évoque des mises en garde pressantes des « services officiels » qui tombent tous les quelques jours, selon lesquelles nous avons, Karl et moi, des tueurs à nos trousses, ce qui nous oblige à dormir ailleurs que chez nous, et à chercher chaque nuit un toit différent... Quelques semaines plus tard, la mort la rattrape.

Le livre est accompagné d’un CD où la voix d’Anouk Grinberg donne vie à ces lettres toutes chargées d’émotion, de détermination, de courage et d’une extraordinaire force intérieure.

Serge Cabrol 
(26/10/09)    



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Lectures









Editions de l'Atelier

256 pages - 25,50 €


Textes choisis par
Anouk Grinberg

Traduits par
Laure Bernardi
et Anouk Grinberg

Introduction
d'Edwy Plenel
(disponible sur le site
Mediapart.fr)






Rosa Luxemburg
(1871-1919)
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Wikipedia







Affiche du spectacle
d'Anouk Grinberg