Jonathan LITTELL

Le sec et l'humide


Paru en 2008, Le Sec et l’humideest un essai de Jonathan Littell, qui s’efforce d’éclairer la personnalité du nazi belge Léon Degrelle (1906-1994) à partir d’une analyse de La Campagne de Russie, livre dans lequel Degrelle raconte son engagement sur le front de l’Est au sein de la Légion SS Wallonie. Moins connu que Les Bienveillantes, prix Goncourt 2006, Le Sec et l’humide a pourtant été écrit courant 2002, tandis que Littell poursuivait ses recherches pour l’écriture de son roman évoquant les mémoires fictives de Maximilien Aue, officier nazi participant aux massacres de masse sur le front russe.

La thèse de ce livre est inspirée d’un essai de Klaus Theweleit, Männerphantasien (Fantasmes mâles), œuvre parue en 1977 en Allemagne et qui fit grand bruit à sa parution, car elle propose une analyse novatrice du fascisme, jusque-là cantonnée à son idéologie et ses manifestations historiques. Voici ce que propose Theweleit, et que Littell reprend à son compte dans son propre essai : « Le fascisme est un mode de production de réalité (…) pas une question de forme de gouvernement ou de forme d’économie, ou d’un système quel qu’il soit. »

De même que Theweleit tente de cerner la personnalité fasciste à travers un corpus d’œuvres rédigées par des membres des Freikorps allemands de 1918-1923, de même Littell se donne pour tâche d’explorer la personnalité de Léon Degrelle à partir de ses mémoires d’engagé volontaire. Affaire de langage, donc. Et quoi de mieux que le langage pour révéler l’inconscient de celui qui ne renia jamais son engagement au sein de la SS et qui continua de se faire photographier jusqu’à la fin de sa vie dans son uniforme de vétéran ?

Pour en revenir au titre de son livre, Littell montre comment Degrelle s’est construit, par son engagement, une sorte de carapace, de « Moi extériorisé » pour se protéger, à l’intérieur de lui-même, de toute menace de dissolution psychique. D’un côté, ce que Littell appelle le sec : c'est-à-dire l’uniforme, la glorification du chef, le goût pour la parade, etc. De l’autre, l’humide, tout ce qui menace de dissolution la personnalité fasciste : la boue, les masses bolcheviques, tout ce qui s’écoule et dont on ne vient jamais à bout, sinon par un suprême effort sur soi-même consistant la plupart du temps à extérioriser la menace par le meurtre, la politique de la terre brûlée, les exécutions à la chaîne, etc. Bref, pour le nazi Degrelle, il s’agit avant tout de se protéger contre tout ce qui le menace de l’intérieur.

Elargi au champ du politique, Littell nous suggère une lecture métaphorique de l’Histoire, et en particulier celle couvrant la Deuxième Guerre Mondiale. Mais le livre va plus loin encore, car il s’efforce d’établir des correspondances avec le monde d’aujourd’hui : pour preuve, le post-scriptum qu’accompagnent deux photos, celle du commandant islamiste Chamil Bassaev et celle du caporal américain Charles Graner posant, tout sourire, devant le cadavre d’un détenu dans la prison d’Abu Ghraib. En clair, Littell nous suggère que la personnalité fasciste excède son historicité et trouve à s’incarner dans d’autres manifestations. Constat accablant, atroce, et qui laisse entendre qu’on n’en a pas fini avec la face cachée du genre humain, à moins de considérer que l’inhumanité, si répugnante soit-elle, fait partie intégrante de l’Homme, quel que soit son engagement ou la couleur de sa peau.

Pascal Hérault 
(11/03/09)    



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Editions gallimard
Collection l'Arbalète
144 pages - 15,50 €









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sous la plume de
David Nahmias.