Marie LE DRIAN

Attention éclaircie



Hélène, la narratrice, qui avait tout quitté pour suivre Martin sur son île, est tombée en dépression lors de la disparition de ce dernier. Aujourd'hui, cela va mieux, apparemment. A la sortie de l'hôpital psychiatrique, elle a acheté une petite maison dans un hameau noyé en permanence dans le brouillard pour s'y cacher du monde, fuir la vue des îles et entreprendre une difficile reconstruction personnelle.
« Il m'aida à poser mes bagages, les cartons de premières nécessités, et me tendit sa carte.
- S'il vous manque quelque-chose. Mais je pense que vous avez besoin de vous reposer ?
J'avais surtout besoin d'être seule. […] C'est ici à présent qu'il s'agit d'être malheureuse.
 »

Loin de la lumière et du soleil, calfeutrée entre ses murs, différente, égarée, elle vit seule ou presque car le fantôme de sa mère, tyran autoritaire de son vivant, continue à la harceler de critiques et de sarcasmes dévalorisants. Effet exaspérant pour la victime et désopilant pour le lecteur.

Le récit se situe à la période entre Noël et le nouvel an. Comme tout le monde, la narratrice entreprend de faire son marché avec l'achat, inévitable dans la région, des langoustines. Le repas rituel sera chez elle, comme les années précédentes. Il y aura Dominique la brave copine, employée de poste, dont la seule conversation concerne la qualité et la couleur des timbres et les deux veuves, copines de gymnastique, qui savent si bien profiter de la vie. Quatre femmes seules, la règle étant : surtout pas d'hommes ! Même Bernard-Henri, le serviable employé municipal, objet secret des convoitises de toutes, est pour la circonstance tenu à l'écart. Une soirée de petites critiques chuchotées, de frustrations, de cadeaux conventionnels.
« J'ai sorti, sans les casser, mes plus belles assiettes à dessert, celles du service. Histoire que mes amies ne me trouvent pas réduite en assiettes à dessert. Histoire aussi que, déjà, ne se profile pas l'idée d'un possible cadeau pour Noël prochain. »

Sa volonté de se gommer du monde semble inébranlable mais aucune réclusion ne saurait être totale. La vie et le dehors tenaces parviennent à s'infiltrer inopinément. D'où sa méfiance pour les quelques éclaircies annuelles qui viennent révolutionner le village. Malgré sa vigilance, une suite d'événements infimes, une certaine rencontre devant l'étal du poissonnier, les fragrances du nouveau parfum de Solange, font brutalement ressurgir de sa mémoire des bribes enfouies de son passé. Le retour en force du souvenir de Claire, l'amie de toujours, délaissée brutalement au lendemain de son mariage vient profondément perturber ses jours longs et solitaires. Même les rassurantes visites quotidiennes à Eléonore, la mystérieuse sorcière du marais, confidente avisée et compréhensive, ne suffisent pas à endiguer cette obsession qui grandit : obtenir le pardon de Claire pour son lâche abandon.

Mais le temps presse et avant le premier janvier, Hélène doit, avec la complicité de la postière et néanmoins amie, tenir l'étrange promesse qu'elle a faite à sa mère avant que celle-ci pousse son dernier soupir : envoyer les vœux de la morte à ces anciennes "garces" de copines qui doivent ignorer son décès... « L'important pour elle était de mourir la dernière. La dernière du groupe. La dernière de la classe. La dernière du quartier. La dernière des agendas. La dernière de sa tranche d'âge. […] Je vous souhaite une bonne santé , aussi forte que la mienne et beaucoup de bonheur avec vos enfants et vos petits enfants... […] Il faut avoir connu ma mère pour imaginer à quel point elle pouvait jubiler de tous ces mensonges, de cette ignoble farce dont j'allais être l'actrice. »
Ensuite, peut-être, elle écrira à Claire.

Le lecteur est embarqué dans un univers étriqué comme Marie Le Drian sait si bien les dépeindre. Dans la lignée de La cabane d'Hippolyte ou Ça ne peut plus durer, elle nous parle à l'oreille des aléas de la vie, de l'abandon, des peurs obsessionnelles, de l'exclusion et de la solitude voulue ou contrainte. Les personnages nous semblent vite familiers et nous touchent. Hélène frôle dangereusement le précipice de la folie et ceux qui l'entourent tentent d'accommoder, chacun à leur manière, leurs difficultés à être et à communiquer. Mais ce roman évite le réalisme cru, il sait divaguer quand nécessaire. Il n'y a ni ennui, ni pathos dans cette traversée intime où le comique côtoie allégrement le tragique. Le ton est toujours juste et le récit sensible et émouvant ne dédaigne ni le sourire ni l'humour. En contrepoint à l'enlisement et à la douce désespérance, une situation cocasse, une remarque incongrue ou absurde, viennent dynamiser le récit et surprendre le lecteur.

Un vrai plaisir donc, à l'heure de la rentrée littéraire trop souvent tapageuse, de retrouver la petite musique si singulière de cet auteur discret, au service d'une histoire à la fois personnelle, féroce et tendre, originale, fantasmagorique qui, dans la brume, répercute l'écho de nos propres angoisses avec un grand rire salvateur.

Dominique Baillon-Lalande 
(27/09/07)    



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La Table Ronde
216 pages - 16 €








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