Yasmina KHADRA


L'attentat


Tel-Aviv. Amine, fils de Bédouin naturalisé israélien est parvenu à s'imposer comme un brillant chirurgien. Il a toujours refusé de prendre parti dans le conflit qui oppose son peuple d'origine et son peuple d'adoption, et s'est entièrement consacré à son métier et à sa femme qu'il adore. Jusqu'au jour où un kamikaze se fait sauter dans un restaurant, tuant des enfants, semant la mort et la désolation.

« En une fraction de seconde, le ciel s'est effondré, et la rue, un moment engrossée de ferveur, s'est retrouvée sens dessus dessous. Le corps d'un homme, ou bien d'un gamin, a traversé mon vertige tel un flash obscur. Qu'est-ce que c'est ? »

Toute la journée, Amine opère les victimes de l'attentat, avec pour tout réconfort l'espoir de trouver le soir l'apaisement dans les bras de son épouse. Mais quand il rentre enfin chez lui, au milieu de la nuit, la maison est vide. Plus tard, il lui faudra reconnaître le corps mutilé de l'être aimé et apprendre qu'on l'accuse, elle, si discrète, si fragile, d'être la kamikaze. Soumis à un interrogatoire musclé le chirurgien niera la vérité ; il ne peut admettre que sa femme, qui n'a jamais manifesté un attachement particulier à la cause palestinienne, ait pu commettre un acte aussi barbare. Se bousculent alors dans son esprit, l'incompréhension, le désespoir, la colère, la révolte. « Lorsque l'horreur frappe, c'est toujours le cœur qu'elle vise en premier. »Pour accompagner sa douleur, la vindicte, les errances dans les rues de la ville, les check-points, les vexations ordinaires. Face à lui la défiance, le rejet voire la haine de ses pairs ou de ses voisins. La violence, « faillite du bon sens », encore, partout. Heureusement, en contrepoint, s'offrent le tendre soutien de Kim Yehuda, collègue juive et néanmoins amie, et la complicité attentive d'un ancien patient, l'inspecteur Naveed Ronen.

Le chirurgien tente avec frénésie de reconstituer les dernières heures de sa compagne pour comprendre ce qui peut pousser une jeune femme aimée et tranquille à un tel acte. L'enquête qu'il mène le conduit au cœur de l'enfer. Janin, Ramallah, les noms sont évocateurs. « Le règne de l'absurde a ravagé jusqu'aux joies des enfants. Tout a sombré dans la grisaille malsaine. On se croirait sur une aile oubliée des limbes, hantées d'âmes avachies, d'êtres brisés, mi-spectres mi-damnés, confits dans les vicissitudes tels des moucherons dans une coulée de vernis, le faciès décomposé, le regard révulsé, tourné vers la nuit, si malheureux que même le grand soleil d'As-Samirah ne parvient pas à l'éclairer ».

Les points de vue changent littéralement selon qu'on se trouve à Tel-Aviv ou à Bethléem. La confrontation du médecin avec des réalités autres que celle de sa table d'opération, faite d'incompréhension et de souffrance, ne l'aidera pas à admettre le geste fatal mais l'ouvrira au monde en fissurant ses certitudes. A l'issu de son périple, grandi, il lui faudra se retrouver. « Cette douloureuse quête de vérité est mon voyage initiatique à moi. Vais-je reconsidérer l'ordre des choses désormais, le remettre en question, me positionner par rapport à lui ? Sûrement mais je n'aurai pas le sentiment de contribuer à quelque chose de majeur. Pour moi, la seule vérité qui compte est celle qui m'aidera un jour à me reprendre en main et à retrouver mes patients. Car l'unique combat en quoi je crois et qui mériterait vraiment que l'on saigne pour lui est celui du chirurgien que je suis et qui consiste à réinventer la vie là où la mort a choisi d'opérer »

En retraçant le cheminement cauchemardesque de cet homme confronté à l'intolérable qui le frappe au plus intime de son être, entre drame intime et effroi politique sur la réalité du conflit israélo-palestinien, ce roman audacieux ose poser des questions sur ce thème, malheureusement devenu universel, du terrorisme. Yasmina Khadra réussit ici la gageure de mettre en scène, à travers le destin singulier d'un seul personnage, le déchirement tragique de ces deux peuples condamnés à vivre ensemble. Et, chose rare dans les histoires sur fond de conflit au Proche-Orient, musulmans et juifs se côtoient, se parlent, s'estiment ou se jalousent comme des êtres humains et non comme représentants d'un camp idéologique. Tout son monde est envisagé sur le même plan et personne n'est épargné.

Yasmina Khadra a publié plusieurs polars, et cette histoire est sur le même ton : brutalité des interrogatoires, yeux pochés, et apostrophes émaillées d'argot. Le sujet est parfaitement maîtrisé et l'histoire écrite d'une plume nerveuse. Les scènes défilent en accéléré les une après les autres, sans jamais nous laisser le temps de respirer. Le personnage nous est livré de l'intérieur dans sa quête d'une explication impossible. Le regard est aigu, réfléchi et le mystère conduit le récit. Les émotions sont si habilement orchestrées que les images télévisées auxquelles on a fini par s'habituer, reprennent de la réalité.

Un ambitieux roman sur les notions de démocratie et de liberté.

Dominique Baillon-Lalande 



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