Retour à l'accueil






KALOUAZ

La part de l'ange


Les nuages
« Les mots endorment les nuages, et ce sera tout.
Mais peut-on se résoudre à cinq notes pour un chant.
Les mots sommeillent trop souvent, discrets ou maladroits, rumeur diffuse au rythme obsédant.
Souvent comme une digue quand la tête prend l'eau, une bourgade fière à flanc de colline, une parole en note basse, un semblant de prière.
Les mots promettent avant de s'effacer devant une douleur muette une porte fermée.
Des mots démunis ou pleins d'amour, de délicates flammes attendant patiemment d'embraser une lèvre douce.
Les mots s'égarent au bout d'un quai avant d'aller se poser ailleurs, dans un compartiment vide et se glisser au cœur d'une chanson.
Des mots, le soir, endorment les enfants que l'on tient par la main, un doigt baladé sur la page d'un livre. 
»

La part de l'ange, c'est cela : ce sont les mots vagabonds recueillis par le poète lors de son errance, un regard, une borne sur le chemin, comme une marque du monde.

Dans ces courts textes poétiques on débusque des instants de vie, l'amour et les femmes :
« Sur les plaines boueuses, nous avons fermé les yeux, à ton allure je battais l'amble, à tes parfums je chavirais, à ton étreinte j'étouffais les chagrins en attente. Le delta aux grandes eaux ne sait rien des aubes grises, quand la pluie plante ses bougies, qu'un vent complice vient souffler. Il ne sait rien de nos hésitations, du temps passé à convertir une promesse en une nuit d'éternité. »
L'auteur y restitue entre nostalgie et sérénité le temps qui passe :
« Je façonne ce qui fut sur la guirlande du temps, cet enfant qui passait. Était-ce moi ? »
« Garder en vie les belles choses avant que les trous de mémoire ne deviennent des gouffres. »
« Tu as perdu tes ailes, des ombres claquent dans les voiles, ton encre a pris des rides. Nous marchons si près du vide, mais avec souvent des poussières d'étoiles dans la main. »

On y sent aussi, terrible, le souffle du monde comme il va, avec sa misère : « On verra encore sur les trottoirs, fleurir les cortèges des gueux à genoux sur leurs lits de carton, de papier » ou l'horreur de l'immigration clandestine : « Ils ont fermé Sangatte, mais la vague creuse encore ce bout de côte. Le vent balaye les mots, la digue craque vers Wissant. Ces navires qu'ils aperçoivent s'éloignent toujours sans eux, pourtant, ils les accrochent du regard, partent en rêve à l'abordage. Et que leur importe le retour en détention, la mort même, si là-bas, il faut vivre en guenilles. » (Ils ont fermé Sangatte)
L'usine aussi : « Ils ont mis leur jeunesse à la chaîne, vingt ans ou trente ans de vie, et demain elles devront aller mendier ailleurs, regarder vivre les autres dans les magazines. »

Parfois, c'est au travers des personnes en détresse qu'il a rencontrées lors des ateliers d'écriture qu'il s'exprime, en prison « Sous leurs épaules penchées, tous les malheurs du monde, les leurs et ceux qu'ils ont semés. Il nous a fallu lutter contre d'autres difficultés, des histoires de pouvoir, de hiérarchie, des histoires de maladie, de cachot. La prison dans la prison, comme une plage sous la pluie. De l'eau dessus et dessous. » (Le premier jour) ou dans un foyer « La terreur, l'indicible œuvre des voisins devenus des bourreaux. Soudain, après l'oubli, le Rwanda dans son horreur, le Rwanda là devant nous, avec sa voix, sa langue sèche et ses phrases hachées par les hoquets. » (Les mains d'Esther)

Kalouaz sait aussi mieux que personne dire l'homme dans ses angoisses, ses émotions et sa complétude en lui conservant sa part d'indicible mystère. Il navigue en pleine lumière sur les eaux du monde entre rage et sérénité et sa petite musique, reconnaissable entre toutes, nous berce ou nous dérange tour à tour. Il capture la vie au filet de ses mots, transforme les petits rien en moments rares, ose dire les désastres, dénoncer l'injustice, avec une écriture ciselée et exigeante, sensible et imagée.

« Entre parole et bavardage, il va falloir choisir. » Kalouaz lui, pour nous toucher ainsi au cœur, a choisi. A déguster lentement, encore et encore et sans modération.

Dominique Baillon-Lalande 
(16/07/09)    



Retour
Sommaire
Lectures









Le bruit des autres

150 pages, 15 €




Kalouaz en lecture
Kalouaz en lecture





Vous pouvez lire
sur notre site
des articles
concernant
d'autres livres
du même auteur :

Géronimo


Ce que la vie
fera de nous



Fugue bretonne


Le retour à Volonne


Si j'avais des ailes


Avec tes mains