Lídia JORGE, Le vent qui siffle dans les grues



Lídia Jorge nous avait habitués à des romans exigeants, empreints d'une vision tragique de l'existence. Ici, elle se surpasse.

Dans une région de contrastes, le sud du Portugal, surgissent d'autres contrastes : ceux des classes sociales, des générations, des cultures, portés par des personnages denses : les membres d'une famille puissante face à des émigrés capverdiens et, dans chacun des clans, l'incompréhension entre les jeunes et les anciens. Mais les liens sont complexes : car au-delà des antagonismes, la vieille Ana Mata n'est-elle pas proche de la grand-mère Leandro qui vient de mourir ?

Ceci, c'est l'arrière-fond sur lequel Lídia Jorge a construit son intrigue, autour de l'étrange et si attachante Milène. Parce qu'elle porte un regard naïf sur les choses et les gens, parce qu'elle n'a pas le sens des convenances, parce qu'elle a la spontanéité des adolescents, Milène pourra construire une relation amoureuse avec Antonino. Et parce qu'elle ne sait pas se servir des mots, elle laissera les autres révéler leurs mesquineries.

Milène n'est pas seulement un élément essentiel de l'intrigue ; elle permet aussi une réflexion sur ces êtres inadaptés et fragiles qui voient le monde autrement.

C'est donc un roman fort, puissant, beau car écrit dans une langue chatoyante. La composition n'en est pas linéaire. Le lecteur entre dans l'histoire à un moment donné sans savoir qui est qui et ce qui s'est passé ; les informations arriveront morcelées jusqu'à atteindre une intensité dramatique, d'autant qu'elles sont apportées par une mystérieuse cousine-narratrice.

Quand on ferme le livre, on reste longtemps hanté par Milène.

« Comme cela lui arrivait souvent, l'enchaînement des éléments dans sa tête était parfait, pourtant elle ne trouvait absolument rien à dire….Il lui fallait donc très bien évaluer la situation avant de déterminer si elle disposait ou non des mots suffisants pour raconter ce qui s'était passé dans la nuit de jeudi ».

Monique De Carvalho 



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Editions Anne-Marie Métailié
444 pages
22 €

Traduit du portugais
par Geneviève Leibrich