Un récit choral avec :
Des enfants
Marta a douze ans. Aînée d'une fratrie de quatre dans une famille
où la mère alcoolique n'est plus en état d'élever
ses enfants et de tenir la maison, elle s'occupe de ses frères et sur
et tient tout à bout de bras sans aucune aide du père qui fuit
dans l'absence et dans les bras de la voisine. Un équilibre précaire
qui se rompt avec la mort accidentelle de la cadette. Le drame provoque alors
l'éparpillement de la cellule familiale : le père part avec sa
maîtresse, devenue veuve depuis peu, pour le Val d'Aoste où elle
a hérité d'une vieille baraque ; la mère sans travail et
plus ivre que jamais, se voit retirer la garde de ses enfants ; les deux petits
sont envoyés dans un foyer et Marta dans un centre d'hébergement
pour adolescents. Roberto, son père, lui a promis de la reprendre plus
tard, avec ses frangins, quand ils auront fini de transformer la maison longtemps
abandonnée en gîte touristique. En attendant, il lui envoie des
cartes postales où il griffonne quelques mots, pour la faire patienter.
Corrado est plus vieux, seize ans, presqu'un homme. Son père, il ne le
connaît pas. Ne lui reste que sa mère, une instable incarcérée,
qu'il visite très régulièrement en attendant sa sortie.
Son obsession est d'organiser en secret une fête extraordinaire pour sa
mère, lors de sa libération. Le garçon rebelle, taciturne
et violent, est prêt à tout, voire à se laisser embarquer
dans un plan délictueux et foireux, pour réunir la somme nécessaire.
Les deux ados malmenés par la vie, grandis trop vite, endurcis, accrochés
à un espoir de vie meilleure, sont hébergés à Turin
dans le même centre d'hébergement aux cotés d'Ahmed,
Marianna, Bogdan, Rezjiana et Loredana. Sept enfants en perdition, dix parfois,
pris en charge dans le pavillon par une équipe de quatre adultes.
Des éducateurs
Des professionnels dévoués qui s'efforcent de redonner un cadre,
un rythme, un semblant de famille et d'affection à ces adolescents en
rupture et aimeraient bien trouver (et surtout garder) un cinquième larron
en renfort. Mais le métier est difficile et laisse peu de temps à
la vie privée et les jeunes recrues abandonnent vite.
Ascanio, un ex-pensionnaire, est le plus ancien. Il travaille dans le foyer
depuis huit ans. Un sacerdoce. "Quand il avait choisi ce travail, il
savait qu'il allait devoir se transformer en un mixer pour les résidus
émotionnels des enfants, en une cuvette de W.-C. dans laquelle ils vomiraient
leur passé. Ce qu'il ne savait pas, c'est que cette odeur de vomi le
suivrait à jamais". Pourtant, parfois, malgré l'équipe
soudée, malgré cet amour secret qu'il porte à Elisa qui
l'assiste depuis plus de deux ans, malgré ce blog où il s'épanche,
malgré l'humour qui le caractérise, il doute, craint de ne pas
tenir le coup, de ne parvenir à rien...
Et si les adultes eux-mêmes avaient "perdu le mode d'emploi, indécis
sur la séquence exacte des gestes qui permet de réduire la distance
entre les êtres" ?
Une assistante sociale
Léa, une jeune femme ayant choisi ce métier avec conviction pour
aider les autres, pour "transformer la rencontre en instrument de guérison"
et qui aujourd'hui se sent ensevelie sous "une montagne de notes, d'entretiens,
de lettres restées sans réponse, de rapports, de décisions
du tribunal pour enfants, qui se renvoient la balle pour chaque affaire à
résoudre. Des voix à écouter, un fatras d'histoires sans
queue ni tête". Une fonctionnaire qualifiée et déterminée
mais fatiguée, une mère aussi, qui peine à rester disponible
pour les siens, une femme que le doute assaille, également, de plus en
plus souvent.
Et dans un cercle plus lointain, les parents perdus, dépassés...
Autour de l'histoire de Marta, c'est tout un monde de familles boiteuses, une
ronde d'enfants tombés du nid et d'adultes qui les prennent en charge.
Tous en quête et en fragilité.
Au fil du récit se dévoilent des existences naissantes mais déjà
abîmées, décrites avec beaucoup de tendresse et de sensibilité,
sans excès ni pathos. Une souffrance inavouée qui n'est parvenue
à gommer ni l'instinct de survie ni la détermination, au-delà
des obstacles ou des angoisses, à recréer un lien familial et
à se rêver un avenir.
Face à eux, des adultes, concernés, courageux, généreux
mais pleins d'interrogations, "souffrent de ne savoir trouver les mots
qui épousent les intentions et les sentiments", qui soignent
et accompagnent.
L'enfance et l'âge adulte se confondent dans la même souffrance,
ballottés entre passé qui colle à la peau et routes incertaines
devant soi.
L'auteur étant lui-même éducateur, on devine le témoignage
et les séquences de vie derrière la fiction. Cela donne l'occasion
aux lecteurs de pénétrer le quotidien d'une profession rarement
évoquée dans la littérature, avec un texte social fin et
réaliste, nourri des enfants qu'il a croisés et de ses propres
doutes et difficultés.
Un bel éloge empreint d'émotion de ce métier difficile.
Un récit au ton juste, habité par un regard tendre et respectueux
qui au-delà du marasme social veut croire aux capacités de l'individu
à se construire des lendemains meilleurs.
Une écriture simple et parfois empreinte de poésie pour ce message
en équilibre entre l'angélisme béat et la désespérance,
porteur d'un véritable espoir et rempli d'humanité. Émouvant
!
Dominique Baillon-Lalande
(11/08/11)