Pierre GARNIER

Papillons


Qui, enfant, ne s’est pas émerveillé à regarder voleter les papillons, à les contempler posés ouvrir, fermer leurs ailes. Qui regarde aujourd’hui la nature observera que les papillons disparaissent, même autour des arbres à papillons, c’est misère… les papillons disparaissent. Depuis qu’il n’y a plus de papillons/ les pensées s’en vont solitaires dans le jardin. Dans ce jardin où les papillons faisaient, telle une représentation théâtrale, un spectacle féérique, il manque beaucoup d’acteurs : les hannetons ne sont plus, les abeilles sont de moins en moins, les hirondelles en forte diminution, etc. Le vol des papillons dessinait collines et vallées,/ leurs corps filaient de fins ruisseaux, ils feuilletaient pétale après pétale,/ ils lisaient le vrai livre. Et Pierre Garnier va plus loin, décline comme une mythologie des papillons : Depuis qu’il n’y a plus de chrysalides/ il n’y a plus de christianisme. / Les papillons étaient vraiment/ les compagnons du Christ/ pauvres mais merveilleux. Il vient nous dire qu’un contact avec le cosmos s’est éteint, nous avons rompu le pacte : la terre alors tournait immobile/ enracinée dans les étoiles. Plus loin, il revient sur le sujet : la terre ne balance plus, / les papillons ne balancent plus. / Les papillons maintenaient la courbe dans la ligne droite, / la ligne droite dans la courbe – / on les voyait tanguer dans l’air, /monter, descendre, / toujours à une certaine hauteur.

Je me souviens d’avoir entendu Pierre Garnier dire, lors d’un discours fait à Saisseval à la fin d’un poème-promenade dans la ville sur sa poésie à l’occasion de ses 80 ans : Depuis que je m’y suis installé, Saisseval s’est enjolivé, l’herbe est tondue, tout le monde trouve cela plus beau, mais l’herbe tondue c’est la mort… D’une certaine manière, il nous disait que le théâtre vivant dans les herbes hautes de l’été n’existait plus. Tout le monde tond sa parcelle de terrain, le bord des routes est tondu, l’habitat des insectes n’existe plus. Bien d’autres choses ont changé : les cours des ruisseaux et des rus ont tous été drainés et là aussi le théâtre de vie en ces lieux a disparu. Les papillons c’étaient des ruisseaux clairs/ qui coulaient dans les campagnes / du printemps à l’automne. / Ces ruisseaux ont été captés. Alors les transformations sont là, changeant radicalement le cours des choses, ainsi : La terre a perdu sa légèreté – / l’air remplit de lourdeurs les parties creuses. Mais ce n’est pas tout, le jardin est immobile et en résonnance : les hirondelles pèsent plus lourd. Et cette métamorphose des choses de la vie des champs s’inscrit dans l’univers : Depuis qu’il n’y a plus de papillons l’Arche/ de Noé et la cathédrale Notre-Dame sont au- / delà de l’étoile alpha du Centaure.

Pierre Garnier termine son recueil en donnant la parole aux papillons : depuis toujours nous montons avec l’air chaud, / nous descendons avec l’air froid – / nous prenons part à la ronde, / juste « au milieu de la hauteur ». Ce « au milieu de la hauteur » renvoie à une image de Milosz, nous dit une note en bas de page.

À la lecture de ce recueil, qui est un extrait de « Poème de la nature civilisée », nous pouvons comprendre combien l’écriture de poésie « linéaire » est en résonnance avec la poésie spatiale où l’on retrouve que papillons et abeilles sont des soleils. Une même vision du paysage qui l’entoure, où le poète s’inscrit pour mieux discerner ce qui est derrière l’apparence, imprègne les deux formes de poésie. En ce recueil, la poésie « linéaire » produit un effet salvateur, décentrant notre regard pour sentir cette légèreté qui se dessine dans le vol d’un papillon.

Gilbert Desmée 
(21/09/08)    



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Traumfabrik Editions
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49320 Coutures

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Encres de
Claire ALARY