Jacques GAMBLIN

Entre courir et voler, il n'y a qu'un pas papa



Jacques Gamblin n'est pas seulement comédien de théâtre et de cinéma. Depuis 1992, il nous régale aussi de courts récits à la facture toute personnelle, mélange d'oralité et d'un goût immodéré des mots.

Quincaillerie, récit d'enfance sous couvert d'une énumération méthodique des objets du quotidien, puis Le toucher de la hanche, tourbillon où l'amour prend et déprend le cavalier resté seul sur la piste de danse, et maintenant Entre courir et voler sont de la même facture. Celle d'un monologue sur un sujet technique précis (le stock d'une quincaillerie, les figures de la danse, la technique du marathon) en révélateur du vrai sujet caché en arrière-plan (l'enfance, la relation amoureuse, la paternité). Une déclinaison rigoureuse et troublante d'une normalité qui porte en elle sa part de folie et traduit le dérangement des sentiments.

Dans Entre courir et voler l'argument c'est la course à pied. Depuis l'enfance Jacques court, seul sport qui par sa modestie et sa non visibilité lui convienne. « Je courais pour me perdre. Pour me retrouver parce que j'étais perdu. Je courais éperdument pour être seul et pour être vivant. Pour respirer. Pour aller au-delà de mes forces je ne sais pas… pour les mesurer. Faire bouillir mon corps. Ne plus faire partie du Tout peut-être… sans doute… avec le recul. » Le récit lui même n'est qu'une course effrénée.

Il faut dire que, depuis plusieurs mois, huit ou neuf peut-être, il est la proie d'une phobie : quand il conduit il sent sa voiture, toutes les voitures, tirer dangereusement sur la droite et échapper à son contrôle. Le récit démarre donc en pleine crise : incapable de conduire sa femme à la maternité, il l'abandonne au bord de l'autoroute et se lance dans un marathon en direction de la maternité dans la ferme résolution d'arriver à temps pour assister à la naissance de sa fille.

Un récit étrange qui tricote avec bonheur l'angoisse d'être père et l'émerveillement de la paternité, les frustrations de l'enfance et la nostalgie d'en être sorti, les difficultés d'être tout simplement. Le verbe est haletant, le rythme effréné, le lecteur finit par courir aussi pour le suivre dans son étrange marathon, tant le personnage est attachant et authentique. Souvent, l'humour masque avec pudeur la souffrance et on se surprend même à rire.

On se trouve là devant un récit étrange tissé de l'absurdité du monde et nourri de sensibilité et de fulgurances émotionnelles. En bon comédien, Jacques Gamblin sait capter le public, l'émouvoir et le surprendre. En tant qu'écrivain, il fait de même avec le lecteur. Un livre original et attachant. Un auteur à suivre.

Dominique Baillon-Lalande 
(article paru dans Encres Vagabondes N°29)    



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Ed. Le Dilettante
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un article concernant
Jacques Gamblin comédien
dans Les Diablogues
avec Jacques Morel.