Viviane FAUDI-KHOURDIFI

Nous étions tous dans ce train


Comme en témoigne l'horloge sur la couverture, l'heure est aux voyages de toutes sortes, à tout âge, de Madrid à Drancy ou Créteil en passant par les Alpes, la Bretagne, le Vercors ou l'île aux oiseaux. Viviane Faudi-Khourdifi nous offre des paysages et des villes entrevues, des moments de vie saisis au vol, en seize courtes nouvelles tour à tour émouvantes ou surprenantes.

Dérangeantes aussi parfois quand Véronique, la gentille maîtresse blonde corrige à l'encre rouge la rédaction d'Aminata, petite fille de dix ans, pour s'apercevoir que c'est la réalité pressante de son expulsion avec sa famille au Mali, dans ce pays qu'elle n'a jamais vu, que l'enfant raconte (Les yeux d'Aminata).

On trouve dans ce recueil les petites histoires de gens ordinaires qui nous ressemblent, dans leur vie de tous les jours, avec leurs difficultés, leurs sentiments, ces moments heureux ou tristes où leur vie bascule, des couples qui se font, communiquent par post-it, se déchirent ou se défont. L'être humain peut s'y révéler d'une mesquinerie accablante, vouloir se venger de la trahison, du mépris ou de la manipulation qu'ils ont subis mais aussi se révolter face à l'injustice ou faire preuve de générosité quand la situation l'exige.

On peut y côtoyer le drame collectif comme l'expulsion massive des sans-papiers, l'attentat terroriste dans une gare (Nous étions tous dans ce train) ou l'incendie meurtrier qui détruit l'« hôtel insalubre mais peu cher du vieux Paris » où est logé Fête-Nat, le poète-enseignant camerounais qui rêve de voir son talent reconnu (Le cahier noir), mais aussi le banal accident de la route ou la violence urbaine dans le RER.

Certaines nouvelles, entre rêve et réalité, s'habillent d'une atmosphère étrange quand l'auteur évoque le monde du cirque où Sofia, la plus grande fildefériste du monde se double de Youri dans ce carcan identitaire qu'on lui a imposé lui interdisant toute vie amoureuse (Plumes de cirque), qu’une promenade en mer devient épopée de pirates en herbe (A l'abordage) ou qu’elle nous narre la dernière soirée d'un marin boiteux dans le phare qu'il n'a pas quitté depuis trente ans (Le phare de l'île aux oiseaux).

D'autres sont légères et fraîches comme le récit d’une fugue amoureuse à travers la campagne nocturne (A la vie, à l'amour), la rencontre de la chercheuse du CNRS et du dentiste, ou émouvantes comme les retrouvailles d'un homme avec son père grâce à trois notes de musique entendues dans la montagne (Trois petites notes d'harmonica) ou le voyage au bord de la mer de Maelle avec sa grand-mère atteinte de la maladie d'Alzeimer ( Elle voulait revoir l'océan).

Dans cette distance entre l'enfance ou la découverte amoureuse et la vieillesse, quelques morts violentes jalonnent ici ou là le recueil qui oscille du rose au noir avec un certain équilibre.

Ce qui donne chair à ces nouvelles ce sont les personnages, en ce qu'ils ont d'infiniment vivant, juste et touchant. Il nous semblerait presque les (re)connaître ou, au détour d'une phrase, d'un geste, nous retrouver en eux. Portées par une écriture simple mais toute en finesse, ces histoires parviennent à émouvoir, questionner mais aussi à surprendre car Viviane Faudi-Khourdifi, avec un goût certain pour les retournements de situation, maîtrise avec talent l'art de la chute improbable. Je me suis même laissée prendre lors de la lecture de Covoiturage, Omathilde ou Tricot vieux rose (peut-être mes préférées avec Nous étions tous dans ce train et Elle voulait revoir l'océan) à rire toute seule sous le regard étonné de mes voisins... de train.

Que l'ensemble d'une vie soit rapidement balayé par un flash-back ou que l'auteur en isole un mince fragment, ces évocations faites tour à tour avec tendresse, cynisme ou cruauté, humour ou indignation, mais toujours avec une part d'humanité, constituent une palette variée de sentiments et de situations pour un tableau riche en couleurs.

Un parcours d'émotions réussi donc pour ce premier recueil d'un professeur de français, qui n'était publié jusqu'à présent que dans des ouvrages collectifs ou des revues et dont on ne peut que souhaiter qu'elle réitère.

Dominique Baillon-Lalande 
(09/04/08)    



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Editions Quadrature
118 pages - 15 €