Asli ERDOGAN, La ville dont la cape est rouge
Özgür, une jeune femme arrivée de Turquie, se trouve happée
dans Rio de Janeiro. Être fragile, elle est confrontée à un
univers dont la violence est inouïe. Les coups de feu qu'elle entend constamment
retentir autour d'elle ne la surprennent plus et elle ne cherche pas à savoir
d'où ils viennent. La femme endormie qu'elle croise sur le trottoir, si
proche de la chaussée qu'elle va se faire écraser, est en fait
plongée dans le sommeil de la mort. Les habitants de La ville dont la
cape est rouge sont constamment sur le qui-vive pour tenter d'échapper à la
faim, la prédation et au meurtre. La violence détermine des rapports
sociaux qui tolèrent une misère extrême et font des passants
les acteurs d'une danse macabre. La ville elle-même est cernée par
une jungle inextricable dont les limites mouvantes empiètent peu à peu
sur les habitations. À la luxuriance de la sensualité qui déferle
entre les êtres répond celle d'une végétation tropicale
grouillante et démesurée. C'est un univers obscur, rempli de bruits
et de présences qui terrifient Özgür. Insectes, sangsues, lézards,
moustiques s'attaquent à elle et tourmentent son épiderme, déjà mis à mal
par une chaleur humide qui lui est insupportable. La jeune femme vit une descente
aux enfers qui fait voler en éclats ce qu'elle portait en elle de l'Ancien
Monde et la confronte à une solitude désespérante. Il lui
faut franchir un parcours labyrinthique pour mener sa quête d'elle-même,
là où les êtres sont non seulement menaçants mais
doubles, comme l'exacerbent les scènes de carnaval avec leur cortège
de masques. Elle vit dans une incertitude permanente qui concerne autant ses
interlocuteurs que son identité propre. Cette constante hésitation
est inscrite dans la trame du roman qui fait d'Özgür une romancière
dont l'héroïne s'appelle Ö. Reflet de Özgür, celle-ci
l'est aussi des figures d'Orphée et d'Eurydice. Et dans cette myriade
de reflets, on entrevoit également Asli Erdogan lors des deux ans qu'elle
passa elle-même à Rio. L'art et la littérature sont le seul
salut dans une recherche de soi qui est aussi un combat fatal que se livrent Özgür
et Rio. L'écriture de Asli Erdogan est un prisme flamboyant où la
ville de Rio accède au mythe. Elle donne à son personnage, dont
le nom peut être féminin ou masculin dans une langue turque qui
ne distingue pas le pronom "il" du "elle", une dimension
universelle. La beauté haletante de ce roman revient hanter le lecteur
avec l'insistance de la vague qui ne cesse de se faire entendre, même si
elle s'éloigne. Asli Erdogan, qui est déjà l'auteur d'autres
romans et nouvelles en turc, est considérée comme l'une des voix
de la jeune littérature turque. Ce roman est déjà traduit
en plusieurs langues.
Cécile Oumhani
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Sommaire Lectures Editions Actes Sud 186 pages 10 € |
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