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Dans un premier film, un documentaire sur les SDF, le narrateur, réalisateur connu, a filmé par hasard Samuel Montana-Touré, alias Cheyenn. La séquence sur ce personnage mystérieux au visage étrange dure moins d'une minute mais les images en sont restées fixées dans sa mémoire. Quand l'homme métis, et non natif américain comme ses vêtements pourraient le laisser penser, est sauvagement assassiné dans l'usine désaffectée qui lui sert d'abri, le cameraman choqué décide de réaliser un second film sur ce personnage entraperçu. Ce n'est pas ce meurtre barbare sans mobile apparent qui l'intéresse mais la personnalité de ce jeune marginal qui avait su capter son regard. Il voudrait traverser l'image prise autrefois, filmer le "hors-champ" et tenter de rendre à cet homme son identité, sa part d'humanité perdue. "L'intérêt du second film pouvait aussi tenir à ces bégaiements de la reconnaissance, ces traces éparpillées dans les mémoires et qu'il fallait sans cesse arracher au néant." Il revisionne alors inlassablement les séquences enregistrées, interviewe Lukakowski, autre locataire de l'usine et "vedette" du premier film, tente de contacter les skinheads suspectés d'être les meurtriers, se rencarde auprès de l'inspecteur chargé de l'enquête, un fonctionnaire que sa démarche ne laisse pas indifférent et qui, en échange d'un visionnement de la séquence dédiée à la victime dans le premier film, lui lâche que celui-ci, contrairement à de nombreux sans-abri, n'était pas seul au monde. Il retrouve alors l'adresse d'une sur dans le nord de la France, s'y rend pour une visite surprise qui s'avérera désagréable et ne lui apprendra rien. Alors il erre, marche sur les traces de l'Indien, de la gare au centre de tri
postal, de l'écluse au terre-plein des conteneurs, dans un paysage de
"désolation urbaine". Les pistes à exploiter restent
minces. Les SDF, comme tout exclu de cette société, se fondent
dans le paysage pour se faire oublier et d'eux on sait peu de choses. Quand il retrouve la farouche Mauda, il sent qu'il ne s'est pas trompé.
La femme a bien connu le personnage qui errait dans les rues en collectant des
objets hétéroclites, écrivant d'obscurs poèmes qui
n'avaient de sens que pour lui. Certes, de prime abord, elle hésite à
parler. Revisiter la période sombre qu'elle a vécue avec cet homme
dont elle a partagé quelques mois la vie et qu'elle a aimé, l'effraye.
Mais l'obstination et la sincérité du réalisateur auront
avec le temps raison de ses réticences. "Jusqu'à ma rencontre
avec Mauda il manquait toujours quelque chose : il manquait le souffle, la présence
humaine de Cheyenn, non pas un cas, un sujet, une image, mais un homme, avait-elle
dit, un homme que l'on pouvait aimer." Elle lève alors un pan
du voile qui recouvre l'histoire de celui qui, avant Cheyenn, se faisait appeler
"Sweet medecine" puis "Wounded eye" (il blessé),
celui qui "voulait rassembler les morceaux du grand tissu rapiécé
de la ville". Elle "ouvre d'un coup l'espace de la légende,
le territoire de l'homme sauvage". Le récit nous offre, au fil de l'avancement de l'enquête, une
incursion dans des sociétés aussi diverses que celle, étriquée
et apeurée, de la sur dans son petit pavillon face au terril, celle
de la télévision où l'argent et l'audimat font loi, celle
sans espoir des sans-abri et des laissés-pour-compte et celle des services
sociaux dépassés par l'ampleur de la tâche. Mais si la médiocrité
et les dysfonctionnements de nos villes sont bien pointés du doigt, le
réel intérêt du roman n'est pas là. Dominique Baillon-Lalande (05/09/11) |
Sommaire Lectures Editions du seuil 128 pages - 14 €
Pour visiter le site de l'auteur : www.francois emmanuel.be Lire sur notre site un article concernant un autre livre du même auteur : Le sentiment du fleuve | ||||||