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Mohammed EL-BISATIE

La faim


Un village égyptien semblable à bien d'autres. Au cœur de ce village une modeste demeure habitée par une famille : le père, la mère et leurs deux fils (neuf et douze ans). Leur seule préoccupation, de l'aube au coucher : de quoi pourront-ils se nourrir aujourd'hui ?

Zaghloul, le père trop souvent sans travail aime sortir le soir, se mettre aux abords des cafés pour écouter les conversations, c'est surtout celles qui le questionnent qui l'intéressent, celles qu'il ne comprend pas complètement. Il aime aussi rendre service, ranger les chaises pour les cérémonies par exemple, ou comme cette fois où il trimballa sur son dos, seul ! car il est fort, l'armoire de futurs mariés le long d'une ruelle étroite et en pente, mais il refuse toujours pour ces efforts le moindre salaire ou aumône.
Si parfois il trouve du travail c'est toujours pour des tâches modestes, et le quitte trop rapidement dès qu'on le traite mal. Le reste du temps, il reste accroupi sur la vaste banquette de briques adossée à la façade de la maison, il se cure les dents avec un brin de paille. La femme marmonne dans un souffle inaudible : "Ah… il se les nettoie… Il aura mangé des saletés et il se les nettoie..." Il a faim, comprend-elle soudain. C'est ce qu'il lui signifie par ce geste. Qu'elle se hâte donc, qu'elle aille cherche de quoi le rassasier ! Mais ils s'endormiront tous les quatre le ventre vide.

Sakina, la mère, après s'être armée de courage, ira emprunter une galette de pain ou deux aux maisons voisines. Elle met un point d'honneur à rendre toujours ce qu'elle emprunte. Et lorsqu'un peu d'argent arrive et qu'elle pétrit la pâte pour le pain, elle compte bien ce qu'elle doit rendre. En revenant du four, elle ne retournera à la maison qu'après avoir payé ses dettes, fière de retirer des galettes encore chaudes de son sac pour les rendre à ses voisines.

Chacun d'eux est acculé par la faim mais conserve sa dignité. Une dignité qu'il veut garder intacte non par orgueil mais par simple respect de soi.
Parfois le hasard les amène à traverser des périodes où la faim retirera ses crocs de leurs entrailles : lorsque Zaghloul travaillera pour un riche obèse en l'aidant à monter sur sa mule ou en lui tenant compagnie le soir ; lorsque Sakina aura la chance d'être employée chez le veuf impotent qui habite la demeure la plus prestigieuse du village ; lorsque Zahir, le fils ainé, se liera d'amitié avec le mitron qui le laissera ramasser les brisures de pain tombées du four, des brisures souvent bien trop cuites. Mais ces périodes seront toujours trop brèves : l'obèse et le veuf mourront peu de temps après que le père et la mère soient employés, quant au mitron, instable, il partira pour d'autres horizons après s'être disputé avec son patron.

La Faim de Mohammed El-Bisatie – écrivain considéré comme l'un des plus talentueux de sa génération avec sept recueils de nouvelles et une douzaine de romans publiés depuis 1967 – est constitué de trois parties : le père, la mère et le fils ainé. C'est à travers leurs déambulations, leurs errances de bêtes affamées dans le village, à l'intérieur de cet espace intemporel qu'impose la faim, que nous découvrons leur misérable existence. Le roman est étayé d'anecdotes parfois drolatiques parfois poignantes. Par exemple celle du mitron et de son feu. Il est assis tout près du feu, il le regarde par l'ouverture du four, il voit les flammes danser et flamber. C'est des potes, le feu et lui. Ce feu qui se rebellera lorsque son ami trop occupé à en découdre avec son patron, le négligera.

En ces périodes où la famine dans certains pays du tiers monde éveille l'attention de notre occident rassasié, ce court roman nous laisse entrevoir les véritables affres de la faim.

David Nahmias 
(02/08/11)    



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Editions Actes Sud

128 pages - 17 €

Traduit de l'arabe
(Egypte)
par Edwige Lambert







Mohammed El-Bisatie,
né en Égypte en 1937, écrivain engagé issu des rangs de la génération des années 1960, est un des auteurs majeurs de la littérature égyptienne contemporaine, spécialisé dans la peinture des marginaux et des plus faibles de la société égyptienne. Plusieurs de ses romans ont été traduits en français.