Joël EGLOFF

L'étourdissement


Une petite balade dans le monde noir et sanglant des abattoirs au quotidien malodorant et violent. Haut les cœurs !
Un banal petit bourg de province qui présente bien peu d’attraits : rivière polluée, station d’épuration et décharge municipale comme horizon, proximité de l’aéroport avec son lot de plaisirs à chaque survol d’avion : kérosène, vibrations et tonnerre. Ajoutez à cela un brouillard, climatique ou issu de la pollution, épais et permanent, à se perdre ou se pendre. Bref un vrai paradis pour une population d’oubliés qui loin de toute révolte, au delà du dégoût, nage dans cet aquarium glauque dont elle a fait son élément avec philosophie ou fatalité. Rien que du luxe et de la volupté pour des habitants réduits à l’état de machines et de fantômes.
Le héros appartient à cette armée sans gloire qui s’épuise et se salit, jours après jours, à égorger des animaux. Sans état d’âme. Le métier est dur mais « Dans la salle de pause il y a des cochonnes qui nous attendent sur des posters et sur un grand calendrier à coté de la machine à café. Ça nous fait toujours chaud au cœur, les retrouvailles. Le rose ça change un peu de l’écarlate ». C’est un homme simple, peu exigeant. Entre travail harassant et cohabitation avec une grand-mère peu attachante, les jours défilent uniformes et gris. On ne lui connaît que deux relations amicales : son collègue Bortch et le vieux Coppi, squatter de carcasses à la casse. Ils se tiennent chaud. Leur attention chaleureuse constitue un rempart contre les maladies locales : désespoir et folie. Son unique loisir réside en de longues promenades en forêt, non pour ramasser des champignons aux étranges mutations peu encourageantes, mais pour récupérer des objets incongrus abandonnés là, par d’autres. Son secret, ce qui lui permet de tenir debout, de résister avec ténacité à l’horreur du quotidien c’est le rêve qui le nourrit depuis l’enfance : partir, seul, à l’aventure, pour vivre enfin, ailleurs.
Un style apparemment simple mais percutant et maîtrisé. Un univers sombre et désespérant que vient illuminer une réelle poésie, un humour irrésistible voire un goût original pour le grotesque. De l’humanité aussi qui rend fort attachants ce personnage et ses compagnons. Le talent de ce jeune auteur se confirme décidément de livre en livre. Le pari était audacieux mais sa fable écolo, terrible et réjouissante à la fois, fait mouche.

Dominique Baillon-Lalande 



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Editions Buchet-Chastel
(Janvier 2005)
144 pages - 14 €




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