Kossi EFOUI

Solo d'un revenant


La guerre est au cœur du roman : Toute personne ayant une adresse solide dans le Nord et n’appartenant pas à la catégorie des « déplacés, réfugiés, mutilés » est donc riche, et comme telle a une dette illimitée à l’égard de ceux qui ont fièrement connu la guerre de ce côté-ci et qui répètent encore, récitent encore, dix fois par jour comme une prière : « Tu n’oublies pas nous, nous sommes pays en guerre. Tu n’oublies pas nous, nous sommes pays en guerre » : une phrase toujours confectionnée en français quel que soit l’interlocuteur, probablement parce qu’elle ciblait au départ les humanitaires français à qui on a commencé par faire payer une bière, puis deux, puis trois… puis quatre…

Un pays qui n’est pas nommé pour dire la souffrance de tout un peuple confronté aux coupeurs de têtes, aux atrocités de la guerre, à ses tortures, à ses déplacements de population… Les morts sont au milieu des vivants et le revenant, personnage principal, hante ce roman. Ce pays sans nom a été colonisé par les Belges, la religion y a toujours joué un grand rôle. Le revenant écrivait du théâtre, faisait partie d’un groupe d’amis créateurs où la folie était parfois au rendez-vous. La culpabilité, le rapport aux anciens, la spoliation des terres et des ressources naturelles, les colonisateurs qui venaient en hélicoptère pour chasser, l’importance de la correspondance, la repentance… tous ces thèmes sont abordés sous forme morcelée, désagrégée comme l’on peut l’être après avoir vécu une guerre ou quand l’on revient dans son pays une fois le conflit terminé : « Pour nous qui avons échappé aux turpitudes de l’effort de guerre, l’heure est venue de participer à l’effort de paix, c’est à dire d’accepter sans broncher une solidarité à sens unique, qui a en commun avec le racket qu’on n’a jamais fini de payer, et qu’on ne vous rend pas la monnaie. Et je suis fatigué de veiller en permanence à ne pas me faire plumer, de refaire les calculs sur les factures, de refuser de payer un verre et de subir les regards. » Le "complexe du survivant" est sans cesse en filigrane, comment se sentir vivant quand il y a eu tant de morts, comment oser vivre encore quand les vivants sont meurtris dans leur chair et leur cœur ?

L’écriture de Kossi Efoui, originaire du Togo, est poétique parfois énigmatique. Elle semble agréger des éclats pour inventer un roman où les souffrances se mêlent à l’espoir, où la douceur côtoie l’horreur. De très belles phrases pour exprimer les sentiments. Le revenant retourne au Nord du pays, sa tante est morte : « Sa voix était encore du toucher. » Elle lui a appris à écrire et le rapport aux anciens est essentiel. La famille transmet l’espoir malgré la mort et la souffrance. Les récits, les contes, les révoltes, les solidarités, l’exorcisme, tout est bon pour « tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile. »
C’est un roman à lire en acceptant l’éclatement en fragments riches de toute la complexité africaine et humaine.

Brigitte Aubonnet 
(24/10/08)    



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Editions du Seuil
206 pages - 17 €


Ouvrage sélectionné pour le Prix Wepler-Fondation La Poste 2008




Kossi Efoui
est né au Togo en 1962.
Il fait des études de philosophie avant de se tourner vers le théâtre.
Il est l'auteur d'une douzaine de pièces.
En 1998, il fait une entrée remarquée du côté des romanciers avec son premier roman, La Polka.
En 2002, son deuxième roman, La Fabrique des cérémonies, obtient le Grand prix littéraire de l'Afrique Noire.