Jean-Christophe DUCHON-DORIS

Le cuisinier de Talleyrand



Après Les Nuits blanches du Chat Botté, où, dans la campagne française du dix-septième siècle, un tueur en série semait la terreur en calquant la mise en scène de ses crimes sur les contes de Perrault, Jean-Christophe Duchon-Doris retient à nouveau l'attention des amateurs de romans policiers historiques avec ce Cuisinier de Talleyrand. Le récit nous entraîne à Vienne, en 1814, pendant le fameux congrès qui réunit toutes les grandes puissances avides de se partager l'Europe après la défaite de Napoléon. La découverte, aux abords de la ville, d'un cadavre atrocement mutilé, inquiète le baron Hager, ministre de la police autrichienne, qui redoute un complot bonapartiste. Il confie l'enquête à Janez Vladeski, bâtard d'un prince croate et d'une servante tzigane, dont le physique séduisant – silhouette svelte, teint basané, regard prodigieusement clair – s'allie à de remarquables qualités intellectuelles. Ses recherches le conduisent au palais qu'occupe le prince de Talleyrand, et plus particulièrement dans ses cuisines dirigées par le chef Antonin Carême, fils du peuple qui a obtenu cette position enviable grâce à ses talents exceptionnels. Or, c'est sur lui que se dirigent les premiers soupçons. L'affaire va se révéler d'autant plus complexe qu'un sentiment d'estime réciproque, voire d'amitié, va bientôt unir le détective et le cuisinier.

Recherche d'indices, fausses pistes, rebondissements divers, coup de théâtre final, le livre a toutes les qualités requises pour séduire l'amateur de romans policiers. Il se recommande aussi par une peinture vivante et réaliste de la Vienne du dix-neuvième siècle, de cette atmosphère de fête perpétuelle qui caractérise le congrès, et qui contraste avec le monde souterrain des cuisines, montré comme un enfer brûlant et rougeoyant où un personnel multiple s'affaire de l'aube à la nuit dans des conditions très rudes.

Mais Le Cuisinier de Talleyrand peut aussi combler l'amateur de pure littérature, grâce à un style de haute tenue, élégant et riche en métaphores originales. La plume de Jean-Christophe Duchon-Doris est habile à restituer toute la palette des sensations, sons, parfums, couleurs, et fait souvent songer au pinceau d'un peintre. Au fil des pages s'offrent au lecteur d'innombrables tableaux qui retiennent si bien son attention qu'il est souvent partagé entre le désir de poursuivre rapidement pour découvrir les nouveaux rebondissements de l'intrigue, et celui de s'attarder pour savourer les descriptions.

Ici, c'est une "impression, soleil levant" aux abords de la ville : « Le ciel était maintenant d'un bleu sombre superbe, éclairé d'élancements de lumière grise auxquels un vent léger donnait un brillant de peinture […] Il aperçut les pelouses, les longues allées silencieuses au-dessus desquelles de grandes lanières d'oiseaux chassaient à coups de fouet les derniers restes de la nuit. »

Là, c'est une scène de genre surprise dans une taverne : « Ils mangeaient en silence, dans des assiettes de terre, des harengs grillés, arrosés de vinaigre et saupoudrés de ciboule […] Leurs figures congestionnées par la fumée des pipes et le vin rude prenaient des teintes violacées et se laquaient de reflets pourpres […] »).

Plus loin, voici une nature morte : « Il fut émerveillé par la palette des couleurs, le jeu magique d'ombre et de lumière qui allumait les grilles des fourneaux, l'acier des lames, le ventre rebondi des casseroles. Il admira le bois des billots et le mica des pierres à aiguiser, le cuivre étamé des moules à gâteaux, les sacs de poivre, les yeux morts des poissons fixant les plafonds hauts, le sang caillé sur le plumage des volailles. Il admira sur les ustensiles la vibration des gris ardoisés et bleutés, sur la vaisselle, sur les corbeilles de navets, sur les tabliers des marmitons, le tremblement des blancs mêlés de perle et d'or. »

Enfin, ce n'est pas pour rien qu'un des héros de l'histoire est un chef de cuisine exceptionnel. En tête de chaque chapitre, figure une liste de mets tous plus savoureux les uns que les autres, lesquels sont décrits dans les pages qui suivent avec une précision sensuelle qui met constamment l'eau à la bouche du lecteur gourmet. C'est, par exemple, ce petit déjeuner que se fait monter la nièce de Talleyrand : « bol brûlant de chocolat, langues-de-chat cuites au miel et au beurre, un verre d'orgeat et un gâteau aux abricots de la Wachau sortant du four. […] Le gâteau avait fait craquer sa vieille croûte et une lave d'un jaune luisant clapotait entre les lèvres dorées de la chair éclatée, exhalant une odeur chaude d'amande et de fruit qui se répandait dans les escaliers […] ». C'est aussi cette recette de timbales de truffes servies à la table du prince : « pâte à foncer très fine garnie à l'intérieur de bardes de lard et de truffes sautées mouillées de sauce financière. » « C'était à se damner » conclut l'auteur, après avoir détaillé les sensations de Janez qui vient de les goûter.

Voilà donc un livre qui offre des séductions multiples destinées à l'amateur d'intrigues policières comme à l'amateur d'histoire, au lecteur friand de fine cuisine comme au lettré friand de mots.

Sylvie Huguet 
(19/06/06)    



Retour
Sommaire
Lectures






Editions Julliard
298 pages
19 €









Plusieurs livres de
J.-C. Duchon-Doris
ont paru en collections
de poche et notamment
la série des enquêtes
du procureur du roi
Guillaume de Lautaret













Vous pouvez lire
sur notre site
un article concernant
un autre livre
du même auteur :

La fille
au pied de la croix