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Au moment où Xi Jinping remplace Hu Jintao à la tête de l'état
chinois, ce roman est d'une grande actualité et très utile pour
décrypter un tout petit peu les arcanes du fonctionnement
de l'état et les divers intérêts en jeu. On y apprend par
exemple l'existence de deux clans rivaux, les Tuanpai et les Princelings.
Les Tuanpai, anciens membres de la Ligue des jeunesses communistes, construisent
leur parcours eux-mêmes, comme Hu Jintao, ingénieur repéré
par Deng Xiaoping, alors que les Princelings sont des héritiers,
les descendants de hauts dirigeants communistes du passé, comme Xi Jinping,
nouveau président, dont le père a été vice-président
de l'Assemblée populaire et vice-Premier ministre. Les seconds semblent
aujourd'hui revenir au premier rang
Mais au-delà de cet intérêt géopolitique, c'est
aussi un roman qui fait peur, vraiment peur ! Pas pour le sang ou la violence
physique mais pour les manipulations financières monstrueuses qui pourraient
ravager comme un tsunami le très instable système économique
mondial. Philippe Dessertine, directeur de l'Institut de haute finance et auteur
de trois ouvrages sur la crise et l'économie mondiale, signe ici une
"fiction" aux révélations terrifiantes. Tout commence en février 2012, dans le consulat américain de
la ville de Chengdu où un policier chinois, Wang Lijun vient se réfugier
et négocier son asile politique aux États-Unis contre de très
nombreux et accablants documents mettant à jour une formidable opération
financière en cours d'élaboration dont les effets seraient dévastateurs
pour les États-Unis et le reste du monde. Le consul étant en déplacement aux Etats-Unis, c'est Ann Robertson,
la vice-consul, qui le reçoit et va mener cette négociation pendant
trente heures, aidée par son assistante d'origine mongole, Wei Xu, et
en liaison permanente avec Washington et l' ambassadeur américain à
Pékin. Les oreillettes et multiples écrans sont branchés
en accord avec le policier chinois dont les révélations sont contrôlées
en temps réel par les spécialistes des services secrets sous la
direction d'Hillary Clinton, la secrétaire d'état, qui en informe
régulièrement Barack Obama. Tout le roman est constitué par cette "conversation" entre
Wang Lijun et Ann Robertson et les documents qu'il sort peu à peu de
son attaché-case, sous forme de disques durs aussitôt lus et analysés
par les ordinateurs. Wang Lijun met surtout en lumière l'existence et le fonctionnement d'une
maffia, Audace de l'argent, émanation de la collusion entre le
pouvoir et les diverses triades. "Elle a compris que les profits traditionnels
tirés de la corruption dans les domaines du jeu, de la prostitution et
de la drogue ne sont rien auprès de ceux que rapporte l'économie
réelle. Tant qu'à construire une toile d'araignée, autant
choisir de capturer les plus grosses proies. Par conséquent, Audace de
l'Argent a décidé de se focaliser sur la véritable arme
absolue du monde contemporain : la finance. Ses dirigeants ont observé
les derniers événements et en ont tiré de précieux
enseignements. Oui, la finance peut à elle seule faire exploser le monde;
oui, la finance peut détourner la plus grande part des profits réalisés
dans la plupart des grandes activités ; oui, la finance dispose d'assez
de relais pour imposer ses vues aux politiciens des grandes démocraties.
La triade en a conclu qu'il était pertinent d'attaquer de front ce terrain
jusqu'ici considéré comme accessoire. Ses avancées sont
foudroyantes, je vais vous le montrer. Et à partir de cette rampe de
lancement, Audace de l'Argent a déjà commencé l'offensive
suivante, en plaçant ses hommes au plus haut des postes de décision.
En se développant grâce à la bienveillance aveugle des tuanpai
et en s'appuyant sur des princelings tels que Bo Xilai, la triade est sur le
point d'entrer dans le grand jeu, d'accéder non seulement au pouvoir
en Chine, mais aussi de diriger le monde." Au fil des heures, Ann Robertson doit surmonter sa fatigue, et parfois son
écurement devant certaines vidéos, pour mener l'entretien
à son terme et obtenir que le policier révèle le maximum d'informations
tout en sachant qu'il veut conserver quelques réserves pour assurer sa
protection dans l'avenir. Quel avenir ? Les Etats-Unis lui accorderont-ils l'asile
politique ou sera-t-il rendu aux autorités chinoises ? Suspense
La tension est d'autant plus forte que des blindés se sont massés
autour du consulat, des forces disparates, locales et nationales, policières
et militaires, surveillées par les satellites américains qui notent
leurs dissensions et les rivalités entre les divers commandements. C'est un roman est-il précisé en couverture mais un avertissement
en ouverture du livre précise que "tout est faux et pourtant
tout est vrai. Un glossaire en fin d'ouvrage permettra cependant de démêler
personnages et organisations réels de ce qui relève de la pure
invention de l'auteur." Les personnages réels ne manquent pas, à commencer par Wang Lijun
lui-même et cet "incident" du 6 février 2012 à
Chengdu, mais aussi Bo Xilai, principal mis en cause, qui a été
exclu du Parti communiste chinois en octobre dernier, et sa deuxième
épouse, Gu Kailai, qui a reconnu l'assassinat de l'homme d'affaires britannique
Neil Heywood et a été condamnée à mort (avec sursis) le 20 août
Tous les ingrédients sont réunis pour un thriller fascinant et
on se laisse prendre par la tension permanente de cette confrontation où
chacun défend l'intérêt de son pays mais aussi ses convictions
profondes et
sa situation personnelle. Ann n'est pas toujours en accord
avec les ordres qui lui sont donnés et Wang Lijun essaie de se préserver
une once d'avenir. Les deux protagonistes ne sont pas des robots et c'est ce
qui donne de la chair et de l'émotion à ce roman. Frémir
et s'instruire à la fois, deux raisons de se précipiter sur ce
roman brûlant d'actualité. Serge Cabrol |
Sommaire Lectures Anne Carrière (Novembre 2012) 272 pages – 18 €
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