Michèle CAVALLERI, Frank-Amédée, alias Job



Frank-Amédée, alias Job est un étrange personnage qui évolue dans un très beau roman, un roman dont l’écriture finement ciselée se joue du temps et de l’espace. L’auteur nous met en garde contre la précipitation : « Si vous aimez les héros qui s’agitent à tout propos, qu’aucune pierre ne fait achopper, qui résistent à tout malentendu, ne lisez pas cette histoire lente comme la germination. Il est des consommateurs de temps si divertis par le seul fait d’exister qu’ils espèrent chaque lendemain à la manière des promoteurs. Rien de condamnable, une autre façon d’aborder l’illusion. »

« Rien de condamnable ». Ce pourrait être le leitmotiv de ce que pense Frank-Amédée au sujet de Méline et Mos, ses parents toujours jeunes et toujours en voyage. Après sa naissance, quelque part en Amérique Centrale, ils l’emmenaient avec eux, partageant une errance sans but. C’est là qu’il a récupéré ses trois prénoms, deux pour sa mère, le troisième pour les autres. Amédée pour la douceur quand elle le câlinait, lui racontait des histoires, évoquait son passé… Frank « pour l’impératif », quand il traînait les pieds ou refusait de les suivre… Ce sont des passants qui l’ont baptisé Job, peut-être parce qu’il jouait presque nu dans la chaleur d’une ville d’Asie. Selon les moments, il se sent Amédée, Frank ou Job…

Et puis, un jour, les voyageurs ont laissé leur fils à la garde de Siloé, sur une petite île du Pacifique. « Lorsque tu seras suffisamment instruit nous passerons te reprendre ». Ils ne sont pas revenus. « Je les ai aimés comme la racine prend sa terre. Je n’ai jamais rien eu à leur pardonner. » Il a grandi. Frank a voyagé à son tour, mais Amédée cherchait à se fixer. Faute d’être cordonnier en Toscane, il a trouvé un petit appartement au troisième étage d’un immeuble et il a rencontré Léonard, une sorte de vagabond érudit, qui apparaît, disparaît et parle comme un livre.

Le roman se joue du temps et de l’espace parce que le narrateur nous promène sans cesse sur les traces de ses parents, des voyages de l’enfance, en alternance avec sa vie d’aujourd’hui. Avant et ailleurs, ici et maintenant…

Léonard présente Frank-Amédée à Elisabeth, une riche collectionneuse qui embauche le jeune homme pour l’aider dans sa recherche de grimoires, gravures et autres « vieux papiers ». « Dès le surlendemain je louai une camionnette, tournai dans la ville pour repérer la distance entre mon domicile et la salle des ventes, puis les adresses des bouquinistes et des brocanteurs. »

Et nous suivons Frank-Amédée dans sa quête et ses rencontres, dans ses souvenirs et ses récits, un Frank-Amédée qui mélange allègrement le rêve et la réalité. Ainsi lorsqu’il contemple Elisabeth : « J’accorde alors toute mon attention à des détails : les fronces qui marquent et masquent à la fois la taille de Lisa. Je les supprime, je ne garde que les couleurs des motifs sur fond marine, les jaunes, les bleus de la robe, j’atténue le rouge trop rouge. Les chaussures en daim noir perdent leurs brides croisées haut sur la cheville. Je les transforme, pour des pieds si fins, en escarpins. Les escarpins d’Elisabeth. Je me donne raison et tort. Après tout, je ne sais si je ne préfère pas Lisa avec ses talons aiguilles ? Je rends le rouge vif à sa robe chatoyante. La vie redevient plus simple. »

Oui, tout est simple, il suffit de se laisser porter et de déguster cet ouvrage hors du temps comme il a été écrit, avec gourmandise et délicatesse…

Serge Cabrol 



Retour
Sommaire
Lectures





Editions Le bruit des autres
256 pages
18 €


Pour visiter le site
de l'éditeur :
www.lebruitdesautres.com





Vous pouvez lire
sur notre site
un article
concernant
un autre livre
du même auteur :



Une si forte absence