Caleb CARR

Le Secrétaire italien



Après avoir passionné les amateurs de littérature criminelle avec deux romans très noirs, L’Aliéniste et L’Ange des ténèbres, Caleb Carrr se livre à un exercice de haute école en prêtant sa plume au docteur Watson, pour relater une nouvelle aventure de Sherlock Holmes. Le pari est risqué, car l’auteur doit alors, tout en faisant preuve d’une originalité qui lui permette de dépasser le pur et simple pastiche, respecter la personnalité et l’environnement du célèbre détective, faute de quoi il sera en butte aux foudres de ses nombreux admirateurs, souvent fins connaisseurs du Canon, ainsi qu’on appelle le corpus écrit par Conan Doyle.

Avec Le Secrétaire italien, ces derniers ne risquent pas d’être déçus : le livre est un brillant hommage à l’œuvre initiale, étranger à toute parodie : on y retrouve Holmes tel qu’en lui-même, avec son génie de la déduction, son goût passionné des énigmes, les aspérités de son caractère excentrique, son humour à froid, et sa façon de couper abruptement la conversation par une remarque déconcertante, fruit d’un raisonnement dont il n’a pas révélé les étapes à ses interlocuteurs. Ainsi, alors que son frère Mycroft vient de lui exposer des considérations de haute politique, pose-t-il brusquement la question suivante : « Quelle dent exactement Sa Majesté s’est-elle fait extraire hier ? ». On retrouve également Watson, présenté non pas comme le benêt admiratif auquel on l’a trop souvent réduit, mais comme un second intelligent et efficace, lié à Holmes par une affection solide, et capable d’appliquer avec succès la méthode déductive qu’il a apprise auprès de son ami.

Quant à l’intrigue policière, elle est compliquée à souhait, avec son lot de coups de théâtre et de fausses pistes. On se contentera de dire ici que Holmes et Watson sont sollicités par Mycroft pour une affaire qui touche à la sécurité de l’Etat et de la Couronne, et que leur enquête, après les avoir conduits en Ecosse, les amène à s’intéresser de près à un crime impuni vieux de plusieurs siècles, et perpétré dans l’entourage de Mary Stuart.

Comme dans Le Chien des Baskerville, le rationalisme de Holmes est ici confronté à des phénomènes d’apparence surnaturelle, puisque le château qui est le lieu de son investigation est semble-t-il hanté par le fantôme du secrétaire italien assassiné. Mais, si le détective parvient à résoudre l’énigme, une part de mystère n’en persiste pas moins à la fin du roman. C’est en cela que Caleb Carr se démarque de Conan Doyle : Holmes est amené ici à admettre que la rationalité scientifique dont il se réclame ne rend pas toujours compte de la complexité du réel : « Je crois au pouvoir des fantômes », confie-t-il à Watson. Et d’ajouter : « Dans l’étude du crime, comme dans tous les autres domaines, il se produit des phénomènes que nous sommes incapables d’expliquer. Nous nous disons qu’un jour l’esprit humain les expliquera, et cela se peut. Mais en attendant, la nature inexpliquée de ces phénomènes leur confère une force extraordinaire car ils conduisent des individus, des villes, des pays entiers à se comporter de manière passionnée et irrationnelle. C’est un pouvoir, en fait. Or qui possède le pouvoir possède la réalité. Est-il réel ? La question n’est pas pertinente, car, réel on non, ce pouvoir est un fait. »

Le Secrétaire italien est un livre très distrayant, que l’on peut recommander à tous ceux que les aventures du célèbre détective ont toujours passionnés.

Sylvie Huguet 
(20/10/06)    



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Noir & polar







Presses de la Cité
267 pages
19 €


Traduit de l'américain
par Jacques Martinache





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