Nina BOURAOUI

Avant les hommes



Après Mes mauvaises pensées (prix Renaudot 2005), Nina Bouraoui revient au roman avec un narrateur masculin, pour une plongée introspective dans la tête d'un adolescent en déroute.
Jérémie habite dans un petit pavillon à l'écart de la cité. Son père vit loin de lui et sa solitude n'est rompue que par les furtives apparitions de sa mère, hôtesse de l'air sur des longs courriers. Cette Icône in-atteignable, avec laquelle il a une relation à la fois fusionnelle et distante – « sa vie blessait la mienne au rasoir, nous n'existions pas au même moment » –, semble elle-même fuir dans les airs ses propres frustrations enfantines et ses rêves déçus. « Je sais que ma mère a peur, comme moi, de la folie, à cause de sa mère. L'amour n'a pas circulé chez nous mais la folie est sur nos peaux. »

Jérémie se sent abandonné, seul au monde, et il peste contre celle qui, une fois revenue sur la terre ferme, semble plus désireuse d'hommes dans son lit que de complicité avec son fils. « J'ai envie de quitter cette vie qui est avant tout la vie de ma mère, qui n'est que sa vie, immense, dans laquelle je me perds comme un point. » « Je ne l'attends plus, je ne regarde plus le ciel comme avant quand je croyais qu'elle était dans tous les avions à la fois. Elle peuplait à elle seule, tout l'espace et ses nuages. »

Il décide donc de fuir la présence de sa mère en fumant des sticks de shit. « Je connaissais la dose suffisante pour la quitter et partir sur un autre continent. » Un singulier voyage au centre de lui-même et un dialogue halluciné avec son corps vont alors l'occuper tout entier.
Au seuil de l'apprentissage du désir, il fantasme un amour sur Sami, « je me donnais du plaisir avec une ombre […] Sami, mon ange envolé », puis sur Ralph, son dealer de quartier. « Avec tous les hommes, je me sens moi, je me sens vrai, je me sens exister aussi. » « J’ai toujours aimé les hommes, c’était une façon pour moi de me délivrer de ma mère. » Elle, comblait le vide de la maison avec des amis de passage signifiant ainsi à son fils qu’il ne lui suffisait pas pour vivre. Lui, se tourne aujourd'hui vers les garçons, leur corps et leur sexe, pour tenter de remplir le vide de sa vie. Premiers émois, premières chaleurs, déceptions et chagrins à l'avenant.

En fin de compte, le jeune garçon ne pourra réellement s'affranchir de l'amour maternel qu’à partir du moment où un intrus s'immiscera dans l'intimité du couple mère-enfant et en tranchera l’ambiguïté. Un fils ne peut remplacer un homme auprès de sa mère et, malgré son désir, jamais Jérémie n’a pu se substituer à son père absent. L'installation chez eux d'Alex, amant de la mère, en provoquant le sevrage qui semblait jusque-là impossible, permettra enfin à l'oisillon de prendre son envol pour se trouver lui-même. « Je me sauve de quelque chose qui commençait à m'ensevelir. » « Ce n'est plus la solitude, ce n'est plus la tristesse, la mer recouvre tout et la vie devient légère, le shit me donne envie de sexe et je me sens libre. […] Je suis à l'intérieur de mon désir comme si je décidais de ma vie. » « Il me faudra explorer le monde, mais je ne ferai pas le même voyage que ma mère ».

C'est par un roman à la sensualité affichée, ambiguë que l'auteur met à nu les tumultes et les fragilités de l’adolescence. L'écriture qu'elle utilise pour dire l'amour sous toutes ses formes, l'émergence des tendances homosexuelles, le désir, est parfois charnelle et brutale. Mais la mise en mots des sentiments – solitude, enfermement, peur, fuite par la drogue, désarroi, mais aussi instinct de vie et innocence – est poétique et sensible. Ce monologue compact, aux phrases longues parsemées de virgules, ne reculant pas devant les entrelacs digressifs, fait merveilleusement écho à la confusion des sentiments et à la déstructuration du personnage.

Un récit intime de 90 pages qui pourrait parfois frôler la complaisance avec ses évocations sexuelles et ses allusions appuyées au complexe d’œdipe et à l'inceste si l'histoire ne nous était narrée à hauteur du personnage touchant de justesse et d'innocence qu'est Jérémie.
De belles pages sur l'adolescence, la difficulté de trouver sa place et de grandir, d'être et d'aimer.

Dominique Baillon-Lalande 
(29/08/07)    



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Editions Stock
90 pages - 11 €


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Nina Bouraoui,
née en 1967 à Rennes, est l'auteur d’une dizaine d’ouvrages, presque tous repris en Livre de Poche ou en Folio. Elle a obtenu le Prix du Livre Inter 1991 pour La voyeuse interdite et le Prix Renaudot 2005 pour Mes mauvaises pensées.