Bernie BONVOISIN

Sirop d'la rue



La vie dans un quartier de la banlieue rouge, dans les années soixante quand « il y avait déjà des pauvres et déjà des riches. Mais il y avait du travail et forcément de la dignité. Il y avait l'Est et il y avait l'Ouest. [...] Nous n'avions pas tout à fait fini de piller le continent africain.[...] Nous n'étions pas encore dans le monde de la communication.[...] L'Amérique, déjà soutenait et finançait les dictatures militaires d'Amérique du sud, sans penser qu'elle aussi aurait à payer. [...] Le Pen était d'extrême droite. La gauche était à gauche. [...] L'Europe était encore une idée lumineuse. [...] Les Serbes n'avaient pas encore tenté d'éradiquer les Bosniaques. [...] Il n'y avait pas encore six millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Nous n'avions pas encore à rougir de notre devise républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité. »
Le cadre politique de cette fresque haute en couleur des habitants des premières barres à Nanterre narrée par un des jeunes qui les habitent et de sa bande de copains est donné.
«  Si la plupart viennent d'horizons divers, tous sont à la même enseigne. Toutes les races, toutes les religions, pays, ethnies et régions sont représentés dans la Cité. Plein de gens viennent d'endroits où les autres n'iront jamais. S'ils partent de partout c'est qu'ailleurs ça ne doit pas être simple. »
«  Il y a une entente parfaite entre les adultes et les mômes. Les uns et les autres, les soirées printanières, vont jusqu'à taper le ballon sur le parking en gravier, ça manque de pelouse mais la balle roule quand même. Le terrain a pour limites les voitures qui y sont garées. Investir dans une caisse à l'époque, c'est réunion de famille, c'est solennel et le résultat est important. Les gens ne possèdent pas grand-chose, mais quand ils possèdent c'est sérieux. L'achat une fois fait, il faut payer et là, les traites quand elles tombent... c'est parfois douloureux. [...] L'été, pour les vacances, les galeries sont chargées à bloc. Tous tentent de rejoindre la Côte d'Azur, le Sud. Dans le Sud, des lieux sont spécialement aménagés pour accueillir les ouvriers. On les met entre eux, ça ne les dépayse pas. Ils peuvent avoir en prime, les bonnes années, le soleil et la mer. [...] L'automobile permet à l'ouvrier d'avoir accès à ces douceurs que sont la mer et les vacances. »

Bernie Bonvoisin, membre fondateur de Trust, groupe rock français phare des années 80, nous dresse ici un panorama de la cité, vue à hauteur d'adolescent, à partir d’une sociologie quotidienne à la «  je me souviens » de Perec. Récits qu'il entrelarde allégrement de fragments d'Histoire, nationale ou internationale : guerre d'Espagne, événements d'Algérie, guerre du Vietnam, Mai 68... jetés pêle-mêle, revus et corrigés à l'aune des laissés pour compte, de la mémoire individuelle et de l'engagement désordonné qui le caractérise. L'écriture simple et brutale, à base de phrases courtes et de restitution de langue orale, regorge d'énergie et parvient à rendre proche ce petit monde dont chacun des personnages affiche une originalité devenue désuète et attachante. Il y a Pascal, le tombeur, dont la mère travaille dans les cantines des écoles, Franck qui se tirera une balle dans la bouche alors que ses sœurs «  vêtues de jupes aériennes, comme les épouses de héros des films américains des années 50 » font rêver, Angel, « le rouquin espagnol heureux » avec sa Flandria rouge, Memed « dont la gueule balafrée s'irradie dès qu'il prend sa guitare », Michel, Bruno le caïd, Michto le Gitan, José dit Mig et les filles que l'on désire et que l'on pelote dans l'obscurité des cages d'escalier.
«  Mig habite au deuxième étage du bâtiment B1. C'est l'exercice préféré de sa mère que de se pencher à son balcon et de regarder... Regarder quoi ?... Y'a rien. Il n'y a rien à voir, à part le carré de sable où les gosses jouent et les chiens viennent pisser sur une pauvre cage à poule qui rouille sur place. »
Grisaille du HLM pour les uns, terrain d'aventure pour les autres, c'est alors une question d'âge.

Unité de lieu et de temps pour cette tragi-comédie moderne sur le quotidien de cet improbable amalgame de familles composites qui semble vivre (ou survivre) en vase clos selon ses propres lois.
Le choix de la structure du "roman par nouvelles", avec un tableau par habitant ou par anecdote, nouvelles qui peuvent être lues séparément mais qui conjuguées forment un tout cohérent, permet de donner une image impressionniste de cette diversité tout en restituant de manière signifiante le microcosme de ces cités naissantes et leur contexte social.

Sirop d'la rue, situé entre documentaire et fiction, est teinté d'évidentes références autobiographiques et de nostalgie. Le décor prend vie, ces bribes d’existences esquissées nous amusent ou nous émeuvent mais le sirop est parfois amer et l'auteur joue aussi du célèbre effet "coup de gueule" de son ancien groupe rock qui ne rechignait ni à l'engagement politique ni à la provocation. Un témoignage sympathique qui se lit avec plaisir.

Dominique Baillon-Lalande 
(01/10/07)    



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Editions Scali
200 pages - 19,50 €


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