Robert BOBER


Laissées-pour-compte



Pour son premier roman Quoi de neuf sur la guerre ? (Prix du Livre Inter 1994), Rober Bober plantait le décor d'un atelier de prêt-à-porter de la rue de Turenne où Monsieur Albert témoignait de la guerre. C'est dans ce même lieu que, quelques années plus tard, nous retrouvons le tailleur et son équipe pour la sortie de la nouvelle collection. Madame Léa, maîtresse des lieux, choisit chaque année le nom de baptême des modèles. Cette fois, elle s'inspire du titre des chansons fredonnées par tous dans la rue ou l'atelier. L'occasion d'une belle balade dans la musique populaire des années cinquante.

Mais, parmi les dernières créations, trois vestes : "Y'a pas d'printemps", "Un monsieur attendait" et "Sans vous" restent laissées-pour-compte, accrochées sur une tringle à l'écart.

Serrées l'une contre l'autre, elles se découvrent une capacité de penser, d'écouter ceux qui les entourent, de se parler. L'observation de la vie de l'atelier comme nourriture et leçon de vie. Plus tard, dans les valises d'un fripier, elles quittent ce laboratoire pour une nouvelle aventure, avec dans leurs poches, la peur d'être séparée, la griserie de la découverte du monde extérieur, l'espoir diffus d'être enfin choisies, animées.

De « Sans vous », nous perdrons vite la trace. N'en restera donc plus que deux en jeu.

Quand Julia étudiante passionnée de lecture transporte « Y'a pas d'printemps » à la bibliothèque pour son travail de recherche sur la représentation du corps à travers les expressions populaires, c'est pour elle une bénédiction. Comme la jeune fille qui a « conscience que fréquenter ces phrases, les déposer dans ses carnets, les classer, ce n'était pas seulement les comprendre mais c'était aussi pour elle un moyen de ne pas s'exclure de l'expérience de la vie », la fréquentation des mots aide la veste « non à vivre, puisqu'elle n'est vivante que pour vêtir les vivants, mais lui a appris à Etre ». Une invitation pour le lecteur à une extraordinaire balade au fil des mots.

L'aventure de « Un monsieur attendait » se déroule dans un monde parallèle, celui du spectacle, nous offrant comme coup de théâtre des retrouvailles émouvantes avec Raphaël, le personnage central de Berg et Berck, l'éducateur pour enfants en fuite pendant l'occupation.
« A la Libération, dans un manoir prés de Paris, Raphaël resta près de ces enfants, ceux dont les parents ne rentrèrent pas de déportation. Là, ils ont joué et chanté. Ils ont ri aussi parce que c'est ainsi qu'on vit. Parce que c'était des enfants. Et parce que de leur histoire ils ne disaient rien, avec eux, Raphaël monta un théâtre de marionnette. »

Devenu ici metteur en scène, c'est de ces mêmes interrogations sur la représentation du monde, la mémoire, l'Histoire et les drames humains qu'il nourrit son travail.
Et, par la veste, devenue costume, nous plongerons au cœur de la création, dans le milieu du théâtre d'après guerre.
« Exposer le passé, c'est dire qu'il a été. Mais qui reviendra en arrière pour dire la distance parcourue… »

Deux vêtements pour évoquer l'horreur de la guerre et le petit bal du samedi soir, l‘amour et la haine, la joie et la souffrance, l'illusion et la déception. Une presque fable avec pour fil rouge des interrogations sur la, (l'in)capacité de l'art à traduire ou représenter la douceur, la barbarie du monde et la difficulté d'être.
Un parti pris original, pour un roman tour à tour profond, riche en références, brillant et ludique.

Dominique Baillon-Lalande 



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Editions P.O.L.

240 pages - 17,50 €