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Jean-Marie BLAS DE ROBLÈS


La Montagne de minuit



La Montagne de minuit peut se lire comme un roman fantaisiste autour d'un quatuor de personnages : l'héroïne, Rose Sévère et son fils, "petit Paul", Bastien, un énigmatique gardien de collège jésuite passionné par le Tibet et Tom, un jeune homme rencontré devant le Potala.
On retrouve tous les ressorts d'une intrigue romanesque : une jeune femme un peu déboussolée en quête d'elle-même, un mystérieux personnage au passé trouble, un secret à découvrir : qui est réellement Bastien ? Que cherche-t-il ? Et on se laisse prendre au jeu car il s'agit bien d'un jeu avec les codes du roman et d'une mise en abyme de la création littéraire.

Dès le quatrième chapitre, on comprend que l'histoire racontée est prise en charge par petit Paul devenu grand, qu'il soumet ses brouillons à sa mère, correctrice de son propre récit de vie. Elle ajoute, elle rectifie. Les points de vue se mêlent : l'image qu'elle a eue de Bastien, celle qu'elle a renvoyée à son fils, celle qu'il met en scène dans son histoire. Les niveaux de lecture se multiplient et la vérité échappe, se glisse à l'interstice de toutes ces impressions.

Le roman rejoint alors le conte philosophique et la réflexion sur le plaisir du "mentir-vrai" pour reprendre les mots d'Aragon. Tom affirme à Paul : « Un enfant attend tout d'un conte, sauf la réalité. Des histoires d'ogres, de sorcières, de petites filles dévorées par les loups, peu importe pourvu qu'on le détourne de ses propres angoisses. Une mère qui cherche à apaiser son enfant ne se préoccupe pas du degré de vérité de ce qu'elle invente ; elle met en scène les seuls éléments qui permettent de croire son histoire, de se laisser emporter. » Ce qui compte, ce n'est pas la solution de l'énigme mais la démarche pour accéder à la vérité.

Ainsi, Rose s'interroge sur le sens de l'affreuse farce inventée par Bastien : « Aujourd'hui, je suis presque sûre qu'il avait prévu les questions qui soulèveraient ces fichues brigades, qu'il m'a ainsi obligée au parcours de démystification dont je viens de te rendre compte. »
La quête de la vérité à travers les mots, le travail de décryptage rapprochent l'historien du romancier et on réfléchit longtemps aux dernières paroles de Rose : « Le romancier est l'historien du présent, m'as-tu dit un jour en citant Simon Leys, l'historien est le romancier du passé. Je ne suis toujours pas d'accord, ou à cette seule condition : c'est qu'ils s'efforcent l'un et l'autre d'inventer la vérité. »

L'intérêt du livre réside dans cet entremêlement de niveaux de lecture. On se laisse emporter par une intrigue sans en être complètement dupe, on assiste à la création d'une œuvre, toujours mouvante avec des secrets qui se lèvent progressivement et d'autres, plus enfouis, qu'il reste peut-être à déchiffrer. Arrivé à la dernière page, on se dit qu'il faudrait tout relire pour avoir accès, comme Bastien, à un éclat de lucidité, comme si entre les pages, se trouvait un enseignement qui pourrait mener à soi, à l'image de cette phrase prononcée par le gardien lorsqu'il jette à l'eau le mandala de sable qu'il a confectionné des heures durant : « Mener à bien une résolution, ne serait-ce qu'une seule, c'est se rapprocher de l'état de grâce. »

Enora Bayec 
(27/08/10)    



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Editions Zulma

160 pages - 16,50 €






Photo © Zulma / Opale

Jean-Marie
Blas de Roblès,

né à Sidi-Bel-Abbès
en 1954, a reçu le Prix Médicis pour Là où les tigres sont chez eux (Zulma, 2008).


Une bio-bibliographie détaillée est disponible sur le site de l'éditeur : www.zulma.fr