Christophe BIGOT


L'Archange et le Procureur



En 1825, vivent discrètement dans un petit appartement parisien une femme déjà vieille et sa fille d’âge mûr, Anne et Adèle Duplessis. Très vite, on découvre qu’il s’agit de la belle-mère et de la belle-sœur de Camille Desmoulins, guillotiné en 1794 avec son épouse Lucile. Pour répondre à la curiosité et à l’angoisse de son petit-fils Horace, torturé par les rumeurs infamantes qui courent sur ses parents, Anne entreprend de rédiger ses mémoires. Ce sont eux qui forment la matière de ce premier roman.

On ne trouvera pas ici de grande fresque historique haute en couleurs, mais un récit intimiste où l’Histoire est vue à travers le prisme d’une subjectivité nécessairement partiale. Anne, qui s’est enthousiasmée pour les idéaux révolutionnaires mais qui a toujours eu la guillotine en horreur, ne relate les événements et ne trace les portraits des différents personnages que dans la mesure où ils permettent de comprendre le destin de son gendre et de sa fille, qu’elle peint avec la plus vive tendresse. Nous sommes donc partie prenante d’un drame privé inscrit sur un arrière-fond où se déroulent les épisodes les plus connus de la Révolution.

Le portrait qui est tracé de Camille Desmoulins est certes attachant, mais nuancé et lucide. Impécunieux, brillant, ambitieux, le jeune avocat qui s’éprend de Lucile Duplessis et qui finira par obtenir sa main se fait remarquer lors des journées révolutionnaires qui aboutissent à la prise de la Bastille et compte dès lors au nombre des républicains les plus convaincus. Il met son talent de plume au service de sa cause, publie des pamphlets violents contre l’Ancien Régime et mérite bientôt grâce à eux le surnom de « Procureur de la Lanterne », auquel fait allusion le titre du roman. Anne Duplessis n’essaie pas d’occulter sa responsabilité dans les massacres de septembre ou dans la chute des Girondins, à laquelle il a fortement contribué par son Histoire des Brissotins. Mais il apparaît plus impulsif que sanguinaire, incapable de mesurer la portée de ses violences verbales et capable de désespérer quand il en mesure les conséquences avec effroi. Accablé par l’exécution de ceux qu’il a sans le vouloir poussés vers la guillotine, il n’aura dès lors de cesse de modérer la Terreur et de plaider pour la clémence, au risque d’y perdre sa tête. Anne Duplessis met en lumière ses qualités comme ses faiblesses : généreux, extraverti, excessif en tout, père affectueux, époux aimant mais peut-être infidèle, il est aussi versatile et plein d’inconséquences, capable de brûler ce qu’il a adoré et de rechercher simultanément l’amitié de Robespierre et celle du royaliste Dillon. La subjectivité du portrait lui laisse aussi une part d’ombre, sa belle-mère ne pouvant témoigner que de ce qu’elle a vu elle-même : ainsi ne saurons-nous jamais ce qu’il en est d’une homosexualité dont a couru la rumeur tenace. Il n’en forme pas moins avec Lucile un couple lumineux, fortement épris, dont les séjours à Clos-Payen, la propriété campagnarde des Duplessis, ont une saveur de paradis perdu.

Dans son sillage surgissent d’autres protagonistes de la Révolution, sur qui les sentiments d’Anne Duplessis jettent un jour également subjectif. On reconnaît volontiers Danton dans le géant plein de sensualité, de vulgarité et de puissance qu’elle nous dépeint avec un mélange d’admiration et de dégoût. Robespierre, qu’elle n’aime guère, apparaît, sans surprise, comme un homme d’une élégance méticuleuse et d’une froideur glaçante, dont on ne saura jamais s’il a sacrifié Camille, son ami de collège, à la suite d’un calcul machiavélique ou simplement faute d’avoir pu le sauver. Le portrait le plus frappant reste celui de Saint-Just, qui a obtenu la tête de Desmoulins : ambitieux, implacable, d’une stupéfiante beauté, exerçant sur Robespierre un ascendant qui l’a éloigné de Camille, il est l’Archange de la liberté et de la mort, celui à qui se réfère le titre du livre : « Alors j’aperçus, dans la même charrette, l’homme qui avait envoyé mes enfants à l’échafaud. Il était presque inhumain de jeunesse et de beauté. Sa chemise découpée par le bourreau laissait apercevoir son cou et ses épaules d’Adonis. Son regard, d’une dureté minérale, était fixé sur un point de l’horizon, bien au-delà de la foule vociférante, qu’il écrasait d’un calme mépris. »

Attachants et complexes, les personnages de ce drame retiennent aisément l’attention du lecteur, qu’il se passionne ou non pour l’histoire de la période révolutionnaire. L’écriture, très élégante, soigneusement épurée de tout anachronisme perceptible, évoque avec justesse la plume d’une femme lettrée du dix-neuvième siècle commençant.

Sylvie Huguet 
(05/12/08)    



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Editions Gallimard

282 pages - 17,50 €





Christophe Bigot,
32 ans, est passionné par la Révolution Française depuis l'enfance. Ce livre est son premier roman.