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Philippe BESSON


Une bonne raison de se tuer



Le roman se déroule sur une journée. A Los Angeles.
En ce mardi 4 novembre 2008 le monde retient son souffle attendant de savoir si l'Amérique osera Obama.
Nous allons donc, avec cet évènement en filigrane, vivre cette journée en compagnie de deux personnages : Laura Parker et Samuel Jones. Ils ne se connaissent pas mais sont tous les deux frappés par la vie.

Laura, une femme désignée pour ces choses-là, les choses matérielles, maternelles, conjugales. Aujourd'hui plus d'enfant, plus de mari.
Elle a habité une maison jadis, et dans les beaux quartiers qui plus est. Mais c'est fini ce temps-là. Depuis deux ans. Déjà deux ans. Elle est sortie de la photo, expulsée du rêve américain.

Nous apprenons très vite alors que Laura Parker a décidé qu'elle serait morte ce soir…
Elle s'est dit : je vais mourir. Et elle a ajouté en secret : je ferai ça demain. Comme s'il n'y avait pas une urgence absolue, comme si elle pouvait laisser passer vingt-quatre heures.
C'est né il y a longtemps… c'est arrivé, c'est apparu et ça s'est insinué sans qu'elle s'elle s'en rende tout à fait compte, ça a grandi sans que cela la dérange vraiment, à la façon d'une tumeur, invisible, pas douloureuse mais maligne, ça a pris de la place, ça s'est nourri de toutes les anxiétés, toutes les défaites, tous les renoncements…
Elle a lâché prise. La certitude que plus rien n'avait de sens s'est irrévocablement imposée.

En parallèle, nous pénétrons dans le monde ravagé de Samuel. Cette journée, il va se rendre aux obsèques de son fils de 17 ans. Il reste assis sur le sofa, le corps penché vers la boîte de pizza, il voudrait que la douleur s'arrête et elle ne s'arrête pas. Paul avait dix sept ans. On ne meurt pas quand on a dix sept ans.

Et ainsi tout au long de cette journée, en alternant les chapitres Laura et Samuel, nous comprendrons la détresse brute de l'un, les fondements du désespoir de l'autre, mais aussi leur doutes, leurs ratages, leurs réflexions. La sensibilité de l'auteur perce dans cette analyse de leur cheminement.

Laura commence sa journée comme tous les jours et l'auteur nous décrit avec force précisions, ses rites, ses habitudes. Dans chaque chapitre, au fil de la journée et de ses occupations, arrive un souvenir, parfois sans qu'elle s'y attende elle ne s'y attarde pas, la cicatrice est trop vive, parfois elle le provoque, qui vient interférer dans ses pensées. La journée et ce qu'elle en fait, le sens qu'elle lui donne, se déroule ainsi sous nos yeux inquiets et nous attache à cette souffrance qu'elle semble banaliser dans cette forme de désespoir atone. Elle fait place nette en quelque sorte. Un dernier rendez-vous, espoir inconscient peut-être, avec son plus jeune fils qui, toujours distant, sera décevant.

Philippe Besson nous glisse ici tout son talent dans la précision quasi photographique des détails sur les couleurs des paysages comme sur les pensées de ses personnages. Là-aussi, un juste nuancier approprié. Tout en proposant une réflexion sur la mort voulue.
Quant à Samuel, nous cheminons avec lui sur son passé, à travers ses doutes quant à son rôle de père, pas assez à l'écoute, pas assez présent. Sa culpabilité le torture. Et dans sa recherche d'apaisement à l'intolérable, il ne trouve ni sens ni possible rédemption.
Pour lui cette journée sera faite de retours sur son passé. Il va aussi rencontrer des inconnus qui vont glisser sur son attente, avant de partir pour la cérémonie. En sortant du café tout à l'heure, il jurerait que la femme à l'allure élégante lui a souri. Et qu'il y avait dans son sourire, pardon pour le gros mot, une complicité. Mais cela aussi, il l'a peut-être rêvé.

Laura a décidé de se servir d'une arme. Du moment et du lieu où elle s'en servirait. Tout de même elle est décontenancée par ces assauts répétés, ces résurgences régulières d'une mémoire douce. Et si cela faisait trembler sa main ? Et si cela l'empêchait d'appuyer sur la gâchette ? Est-ce qu'à la dernière minute elle pourrait flancher ? ne pas y arriver ?

Newport Beach.
Laura et Samuel vont prendre le même ferry. Vont-ils se rencontrer ? Leur forme personnelle de désespoir vont-elles se reconnaître ?
Nous avons lu cette journée en alternance, avec cette envie. La mise en parallèle du cheminement de l'un et de l'autre, provoquant une sorte d'espoir de rencontre…

Les lignes désignent deux individus : soit elles sont parallèles et rien ne sera possible entre eux car pour toujours ils ne se situent pas au même niveau, soit après avoir flirté, elles s'écartent pour ne plus jamais se rejoindre, soit elles sont sinusoïdales, se croisent parfois, les êtres ne se retrouvant au même niveau des sentiments au même moment et leur intersection est, de toute façon condamnée à la brièveté.
Cette théorie des lignes qu'expose Samuel, lorsqu'il rencontre le camarade de son fils, pourrait-elle nous éclairer quant à la fin de cette journée ?
Il est un endroit qu'elle affectionne, où elle venait se cacher quand elle était enfant(…)
C'est là qu'elle a rendez-vous avec elle-même.(….)
Sur un des bancs éclairé par un lampadaire, elle distingue une présence. A mesure qu'elle s'approche, la silhouette devient une personne précise : c'est l'homme du ferry.

Cette écriture si sensible nous prend dans ses filets d'émotions diverses et notre plaisir de lecture est constamment infiltré par la réalité de la souffrance des personnages.

Anne-Marie Boisson 
(24/03/12)    



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Editions Julliard


320 pages - 19 €










Philippe Besson,
né en 1967, écrivain, critique littéraire et animateur de télévision, a écrit une quizaine de livres et obtenu plusieurs prix dont le Grand Prix RTL-Lire pour L'Arrière-saison.
Ses romans, sélectionnés pour le Femina, le Médicis ou le Goncourt, sont repris en 10/18 et traduits dans une vingtaine de langues. Son frère, publié en 2001, a été adapté par Patrice Chéreau (Ours d'argent à Berlin). Un homme accidentel sera adapté, également pour le grand écran, par Rodolphe Marconi courant 2012 avec Mélanie Laurent. Philippe Besson a par ailleurs écrit le scénario de Mourir d'aimer (2009), interprété par Muriel Robin, de La Mauvaise rencontre (2010) avec Jeanne Moreau, du Raspoutine, de Josée Dayan, en tant que coauteur, interprété par Gérard Depardieu, de Nos retrouvailles (2012) avec Fanny Ardant et Charles Berling, et du Livre de Paul, le prochain film de Laure Duthilleul, avec Michel Piccoli, qui sortira sur les écrans en 2012.