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"j'ai appris à vivre à l'infini A la lecture de quelques vers seulement, on ne peut s'empêcher d'affilier
les poèmes de Paul Bélanger à ceux de Follain, Guillevic,
Jaccottet, à cause d'une âpre rigueur qui se dégage et sert
de rabot au trop-plein de la langue. Ecrire consiste à épurer,
à user les mots comme le fait la mer avec les galets. Les mots n'ont
pas besoin de leur éclat, de leur magnificence, mais de leur poids exact.
Ils savent ce qu'ils sont et n'ont pas à aller quérir une vérité
toujours éperdue au-devant d'eux. Ils portent leur propre évidence.
Il convient déjà d'écouter ce qu'ils nous disent, de louer
leur patience car "Somme toute c'est comme si l'humain était
l'artefact de la langue" p17. Ils savent mieux ou avant nous. Il existe
donc une sobriété de la langue, une mesure juste- peut-être
en dehors de nous- opérant un subtil décalage avec nos émotions
ou nos sentiments que le poème s'évertuera à combler. Il
semblerait que chez Paul Bélanger, les mots appartiennent à la
matière et qu'ils en possèdent les qualités physiques.
Ils ne sont pas au-dessus des choses, ils sont la réflexion humble des
choses. L'immense travail est de se mettre à leur portée. "rien ne lui est plus beau que cette mare sombre/qui s'étire comme un chat "p10 Cette confiance quasi pongienne aux mots ne se duplique pas et ne recouvre pas pour autant la confiance que nous pourrions accorder à la vie. Autre paradoxe, sans doute le plus important, est que la vérité des mots ne garantit en rien la vérité d'expression. Une dimension de l'être paraît se dérober malgré la viabilité et la certitude qu'ils peuvent apporter. S'instaure un rapport mutique et cependant agissant entre une précision souhaitée et une indétermination réelle. Cette indécision est une autre forme du réel, sa part vacante, une possibilité que celui-ci à de se promouvoir en dehors de la pensée spéculative. Peut-être, faut-il imaginer un tableau de Turner où les éléments repérables auraient à répondre ou deviendraient prétextes à une réalité plus ample échappant aux lois strictement figuratives. Les mots sont vrais dans une dimension qui ne les accepte pas complètement et il y aurait une discussion permanente entre le paysage mental et le paysage physique, une imprégnation de l'un et de l'autre, vérités interchangeables qu'il faudrait remettre sur pied. "
quelle nature de peintre
"aucun cri - seules les paroles secrètes de l'aube des paysages sans queue ni tête Se fondre dans le paysage prend donc un sens radical. Le poète utilisera de nouveau dans un autre poème ce même avant-dernier vers, en appuyant cette fois-ci sur la complexité aveugle du monde, sur ses possibilités mortes et sur son pouvoir de dislocation qui atteindrait jusqu'au langage : "Le paysage est sans queue ni tête, comme un Face à ce paroxysme où "La chimie de ce monde pense-t-il tient/d'un chaos tourné vers l'unité " p32, face à ce danger d'être happé comme une couleur pourrait l'être au milieu de la profusion d'une multitude de couleurs, quelquefois il y a discordance. Si l'on admet que le paysage "parle", le murmure prégnant du paysage n'envahirait pas la parole à trouver. Cet écart qui est l'impossibilité de dire le monde crée en même temps un espace salutaire. Les mots reprennent de leur puissance à l'instar de pierres milles fois rencontrées et ignorées que l'on aurait aperçues sur le chemin. Ils résistent à cause de l'imperfection du monde et de son implacable leçon. Ils sont à la fois objets vrais, finis, comme peuvent l'être un banc ou une table, une simple rose, et leur essence est de ne promettre que ce qu'ils sont, enfermés dans leur patience dissidente. Il y a un poème exemplaire qui nous prouve cela : "tu es allé chercher une cigarette Le plus grand poème serait d'attester de la prose du monde, d'atteindre
une évidence où fulgurerait la beauté élémentaire
des gestes et des choses. Il y a chaque fois beauté chez Paul Bélanger
lorsque les mots, les objets, une couleur, un sentiment, atteignent leur limite
bouleversante, autrement dit une pacifique neutralité. "la côte est visible ce soir Avec Paul Bélanger, se concrétise un fabuleux pari : celui de marcher, de rire, d'écrire, d'écouter, de regarder d'habiter des verbes simples et élémentaires puisqu'avant tout nous sommes "les prémices d'un paysage". Christian Viguié |
sommaire Poésie Éditions du Noroît 64 pages - 11 €
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