Jean-François BEAUCHEMIN, Le jour des corneilles



« Le jour des corneilles » nous vient des forêts giboyeuses du Québec où la nature, la rudesse des climats, impose aux hommes ses lois. Mais il nous vient aussi d’un temps reculé car, outre l’absence totale de références à la modernité, le récit est écrit dans une langue précieuse qu’on devine ancienne, peut-être celle que parlaient les nouveaux arrivants au Québec au 17ème ou 18ème siècle. Et cette langue donne au récit une musique très particulière.
« Nous logions, père et moi, au plus épais de la forêt, dans une cabane de billes érigée ci-devant le grand hêtre. Père avait formé de ses mains cette résidence rustique et tous ses accompagnements. Rien n’y manquait : depuis l’eau de pluie amassée dans la barrique pour nos bouillades et mes plongements, jusqu’à l’âtre pour la rissole du cuissot et l’échauffage de nos membres aux rudes temps de frimasseries. »

Père et fils sont accaparés par les gestes nécessaires à leur survie : pêche, chasse, fabrication de vêtements chauds avec les peaux tannées, récolte de fruits sauvages et d’herbes aromatiques et médicinales. Mais tous deux sont « visités » par les morts. Visite amicale et sereine pour le fils tandis que le père est en proie à la terreur que lui inspirent « ses gens ».
« …sitôt que ses démons lui venaient, père paraissait toujours guerroyer contre eux, luttant d’abord avec extrême zèle afin de garder son casque froid et vide de ces monstrueux-là. Mais toujours cette lutte s’estompait, et toujours père capitulait puis commençait à se soumettre aux desseins de ses gens. Il semblait dès lors qu’il était fendu en une paire de parties, ainsi qu’une billette sous le coup de l’outil : la terre de l’ici-bas ne paraissait plus supporter qu’un seul de ses pieds rondelets, cependant que l’autre foulait le sol d’un outre-monde. »

Nadine Dutier 



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Editions Les Allusifs
152 pages
13 €




Jean-François Beauchemin est né au Québec en 1960.